Pour l'assurance retraite, la performance se mesure à l'échelle du collectif et dans la durée
Murielle Bialès, Directrice déléguée réseau de l'Assurance retraite
et Jérôme Friteau, Directeur des relations humaines et de la transformation des RH réseau de l'Assurance retraite,
Qu’elle soit individuelle ou collective, la notion de performance est aujourd’hui au cœur du management. Qu’est-ce que cela signifie pour la Sécurité sociale, qui exerce une mission de service public ? Comment améliorer cette performance de façon durable ? Eléments de réponse avec Jérôme Friteau, Directeur des relations humaines et de la transformation des RH réseau de l'Assurance retraite, et Murielle Bialès, Directrice déléguée réseau de l'Assurance retraite.
Dans le réseau de l’Assurance retraite, 2025 est « l’année de la performance » …
Murielle Bialès : C’est un choix impulsé par notre directeur général, qui voulait à la fois initier de nouveaux travaux sur le sujet, mais aussi faire de cette année le point d’orgue d’une réflexion que nous menons depuis longtemps déjà, aussi bien dans les Carsat qu’à la caisse nationale.
Notre 1er axe de travail a été d’étudier notre niveau de performance, et ses leviers, dans le champ de production retraite, compte tenu des enjeux de ce domaine d’activité.
Nous avons ainsi engagé début 2025 une étude permettant de voir quels étaient les métriques en la matière dans les caisses, ainsi que leurs différents déterminants. Cela nous a notamment aidé à déterminer quels étaient les modèles d’organisation qui étaient impactants en termes de performance.
Mais nous nous sommes aussi aperçus à cette occasion que nous avions dans le réseau des perceptions très hétérogènes de la performance. C’est venu confirmer notre intuition, à savoir qu’il y avait un besoin de partage pour les directeurs et les équipes de management. Nous portons à cet effet un projet de formation du collectif managérial autour de ces sujets de performance.
Précisément, que met-on derrière la notion de performance ?
MB : Des choses très diverses ! Souvent, cela fait d’abord référence à la production, à la productivité et à l’efficience, avec une notion de chiffrage et de coût. Nous avons souhaité y ajouter des dimensions complémentaires, qui s’inscrivent pleinement dans notre identité, celle d’un acteur du service public.
Ainsi, nos travaux en cours, transverses et associant pleinement les acteurs nationaux et locaux, ont pour objectif de faire avancer notre collectif managérial non seulement sur la dimension purement productive, mais aussi sur celle de la qualité. On ne parle pas uniquement de la qualité du produit (liquidation de retraite et droits en matière de prestation sociale), mais aussi de la qualité du service rendu aux assurés, de la satisfaction Cela en intégrant également la perception en interne de la performance : nous essayons de lui donner un côté qualitatif, qui correspond plus à l’univers de la Sécu.
Les Caisses ont quant à elles ajouté la notion de la durabilité : nous ne devons pas être performants à un moment ou sur une période donnée, mais bien nous inscrire dans la durée. Enfin, la performance appelle aussi la notion de bien vivre et travailler ensemble, car nous avons la conviction que c’est la force de notre collectif qui va nous permettre d’affronter les défis de demain. Ainsi, en définissant un spectre large de la performance, il est possible de dégager de premiers leviers.
Service public, durabilité et collectif sont donc au cœur de la performance Sécu ?
Jérôme Friteau : Il y a en effet plusieurs dimensions, qui sont comme des briques dont nous devons assurer la cohérence. Il y a évidemment la performance macro, à travers les indicateurs CPG / COG, dont l’analyse et le suivi sont bien maitrisées, aujourd’hui. Mais au niveau micro, il est important de ne pas confondre les objectifs et les indicateurs, qui, une fois déclinés trop mécaniquement à l’échelle de l’individu, risquent de faire perdre le sens de la mission de service public.
Nous essayons d’atteindre des résultats qui soient satisfaisants à la fois pour nos assurés, nos salariés et nos partenaires, tout en conjuguant des objectifs de court, moyen et long terme. D’où l’introduction d’une performance dans la durée, et le rappel d’une performance collective, pour sortir des stricts objectifs individuels chiffrés. La performance est de toute façon globale : ce n’est pas parce que vous avez dans votre équipe les 5 meilleures performances individuelles que vous aurez in fine la meilleure performance de service public.
Vous avez défini des compétences-clés autour de la gestion de la performance pour les managers – comment avez-vous travaillé ?
JF : Nous sommes repartis du terrain pour être sûr de répondre aux attentes des managers face à la réalité de leur activité, et non seulement aux ambitions de la caisse nationale. Nous avons donc travaillé sur ce projet avec 3 caisses : la Carsat Centre-Val de Loire, la Carsat Bretagne, et la Carsat Sud-Est. Ce travail s’est fait avec des managers de proximité, mais aussi des managers de managers et des managers de direction. L’objectif était de comprendre leur vision de la performance durable et collective, tout en identifiant leurs besoins.
Quelles sont les compétences-clés que vous avez définies ?
JF : Pour un manager, garantir la performance durable de son équipe demande d’abord d’avoir une bonne compréhension et une bonne maîtrise du cadre théorique de cette performance. Mais cela nécessite aussi de pouvoir évoluer dans sa posture managériale afin de rendre possible une performance globale, sereine – c’est-à-dire être capable de prendre du recul sur son activité, sur son périmètre d’autonomie et de délégation, et donc d’accroître sa plus-value managériale.
Il s’agit également de savoir piloter durablement la performance dans un contexte qui lui est instable. Cela implique notamment de bien gérer les ressources et de s’efforcer, dans le contexte de management hybride, de réduire le fossé qui peut exister entre le travail prescrit et le travail réel. Plus largement, il faut ouvrir une réflexion sur la performance avec ses collaborateurs et sa hiérarchie, et instaurer des espaces de dialogue professionnel pour mettre en discussion le travail réel.
Collaborer et faire collaborer au quotidien est une autre compétence-clé. Il s’agit pour les managers de savoir susciter des solutions collectives face aux problématiques rencontrées par les équipes. Il faut ici sortir du mythe du manager qui résoudrait seul tous les problèmes du collectif, et souligner qu’il est au contraire là pour créer une synergie, faire émerger des idées, et pouvoir sereinement décider.
Enfin, le dernier enjeu est celui de l’accompagnement des collaborateurs par les managers. Il s’agit d’intégrer du sensible dans la pratique managériale pour s’adapter à chaque collaborateur et accompagner au mieux sa montée en compétences – cela suppose parfois de savoir rompre avec la tradition de stricte égalité de traitement, qui voudrait qu’on fixe à des individus différents les mêmes objectifs, au profit de l’équité. Il faut se rappeler que c’est bien la performance collective qui compte.
Quelles sont les grandes attentes qui subsistent de votre côté ?
JF : Je pense d’abord que nous devons manager davantage par le travail réel. Aujourd’hui, on manage encore souvent par la procédure, le reporting et le contrôle. Il faut s’interroger sur l’invisibilisation d’une partie du travail, et s’il n’y a pas des difficultés dans la mise en application des procédures et des missions confiées. Alors que le travail hybride éloigne encore le manager du travail réel de ses collaborateurs, il est important de pouvoir parler de la façon dont le quotidien de travail se déroule concrètement.
L’autre sujet clé pour nous concerne l’art de donner et recevoir du feedback. C’est très lié à la refonte en cours des EAEA, qui vient encourager l’auto-évaluation, le dialogue sur la charge de travail, et une forme de feedback croisé et régulier pour sortir de la verticalité de l’exercice. Nous souhaitons aussi que cette logique de feedback soit moins formelle, que cela puisse se faire de façon régulière et non seulement une fois par an, réduisant au passage le risque d’obsolescence d’objectifs fixés un an avant ou la brutalité de l’annonce lorsque le salarié n’est pas au rendez-vous des attentes.
Quid de la performance au niveau du réseau ?
MB : La performance est évidemment un enjeu central au niveau du réseau, y compris pour répondre à l’ensemble de nos enjeux présents et à venir. Nous avons, et c’est essentiel, de plus en plus de données pour analyser les résultats au niveau chiffré mais nous devons veiller à mettre ces éléments en perspective pour éviter une lecture silotée ou biaisée… Pour cela, nous favorisons les échanges avec les caisses, au travers par exemple de bilatérales dédiées à ces sujets Nous avons relativement peu d’organismes par rapport à d’autres branches, ce qui est une force et permet de réunir plus facilement l’ensemble du réseau.
Sur le sujet de la performance collective du réseau, nous avons évolué vers un partage beaucoup plus facile et toujours plus transparent entre les organismes. Le réseau est convaincu qu’au-delà des performances de chacune des caisses il est essentiel de développer le partage des pratiques et des résultats pour améliorer la seule performance qui compte vraiment, c’est-à-dire celle au niveau collectif. Ainsi, le réseau s’inscrit dans une dynamique de plus en plus horizontale. Celle-ci est également facilitée par notre relation de proximité avec les lignes managériales, et par la confiance que nous entretenons avec elles.