Gérer efficacement un conflit
Le conflit fait partie de la vie de tout collectif. Il n’a rien de néfaste en soi : les conflits d’idées permettent notamment de faire émerger des solutions qui concilient plusieurs objectifs et points de vue. Mais il arrive aussi que le conflit s’envenime, mette à mal les relations et que le dialogue tourne à l’affrontement, au point d’aboutir à une situation de blocage. Alors même que toutes les parties souhaitent en sortir, rien ne semble en mesure d’en venir à bout. Ce paradoxe s’explique par trois facteurs :
- La volonté de voir les choses de la même façon. « Sans vision commune, impossible d’avancer. » Cette conviction, en apparence logique, peut en fait exacerber les conflits. Immanquablement, elle pousse les protagonistes à chercher à se convaincre réciproquement. Un effort souvent stérile. A rebours de l’effet escompté, ces échanges infructueux tendent plutôt à accroître l’animosité.
- Un antagonisme « eux contre nous ». La polarisation est un mécanisme pernicieux. Les chercheurs s’interrogent depuis longtemps : comment se fait-il que des personnes, même éduquées et ouvertes d’esprit, s’enferment parfois à ce point dans leur point de vue ? Pro- ou anti-vaccins, pro- ou anti-direction… chacun se fige dans sa perspective. Le stress, l’impression de devoir défendre coûte que coûte ses positions, la conviction d’avoir raison, finissent par créer une rivalité systémique.
- Un effet de halo affectif. Quand le conflit dure, nous finissons par déconsidérer les capacités et les intentions des personnes avec qui nous sommes en désaccord. Nous cessons alors d’écouter réellement ceux qui ne pensent pas comme nous. La capacité de collaborer est alors fortement dégradée.
Comment débloquer une situation conflictuelle qui s’enlise ?
1. Renoncer à tous voir les choses de la même façon
Pour débloquer un conflit, commencer par chercher à se mettre d’accord est souvent vain. Mieux vaut viser quelques avancées pragmatiques : même minuscules, elles aideront à décrisper la situation.
Cette tactique a par exemple permis à la directrice d’un hôpital de sortir de l’impasse d’un conflit provoqué par un projet de réorganisation de son établissement, qui avait entrainé une véritable guerre de clans. Une première tentative de rapprochement avait échoué. Tous les chefs de service s’étaient réunis pour un séminaire, lors duquel ils devaient définir une vision commune et une feuille de route. Mais dès la mise en œuvre, les divergences de fond, passées sous silence lors du séminaire, ont fait dérailler le plan. Au second essai, la directrice a changé l’objectif : « Nous n’allons pas chercher à nous mettre d’accord, ni à nous apprécier. Essayons simplement d’identifier quelques améliorations possibles. Expérimentons-les et dressons un bilan dans quelques semaines. » Cette approche terre à terre a permis de désamorcer les réflexes d’obstruction. La plupart des services ont joué le jeu, mus par leur propre intérêt. Avec un bénéfice précieux : les parties avaient désormais la preuve tangible qu’une issue coopérative était concevable.
2. Prendre appui sur un élément de crise
« Never waste a good crisis » (ne gâchez pas l’opportunité d’une bonne crise), attribue-t-on à Churchill. On peut en effet construire sur le choc que suscite le paroxysme d’une crise pour relancer une dynamique de coopération. De nombreux événements se prêtent à un sursaut de ce type : une grève, la publication d’un indicateur particulièrement dégradé, etc.
Recherchez des incidents suffisamment marquants ou symboliques, puis initiez une discussion collective autour des questions suivantes. La situation actuelle peut-elle perdurer ? Notre fonctionnement est-il viable à long terme ? Quelles lignes rouges avons-nous franchies ? Qu’est-ce que nous ne voulons plus jamais voir à l’avenir, quelles que soient nos divergences de fond ?
3. Explorer ensemble la complexité du problème
Renouer le dialogue requiert de réintroduire des nuances dans les visions respectives des parties prenantes, sans nécessairement chercher à les faire changer d’avis. En effet, les conflits nous poussent dans des positions de plus en plus tranchées et réductrices. Cette réaction instinctive à la contradiction constitue un obstacle majeur à la sortie de crise : tant que nous rejetons l’adversaire en bloc, concéder la moindre avancée reste inenvisageable.
Il en découle un principe d’action bien connu des médiateurs : ne pas chercher à réduire la complexité d’une crise. Au contraire, celle-ci est une précieuse alliée. Plus les protagonistes admettront et saisiront cette complexité, plus ils accepteront d’écouter la partie opposée. Dans cet esprit la Fédération américaine des musiciens, engluée dans un conflit social dur, a utilisé l’outil de la carte mentale. Lors d’une séance de négociation, les protagonistes étaient invités à lister tous les problèmes économiques, culturels, politiques, familiaux, etc., qui découlaient de la mésentente entre les différents acteurs du secteur. Ensuite, ils devaient dessiner sur un grand panneau les relations entre ces diverses problématiques. Certes, chaque camp a gardé sa propre vision des liens de cause à effet, ainsi que des responsabilités imputables au camp opposé. Néanmoins, l’exercice a conduit chacun à identifier les interdépendances entre les multiples dimensions du problème. Cela les a conduits à exprimer leurs revendications de manière plus pondérée et constructive.
4. Rebondir sur les exemples positifs existants
Quelle que soit l’intensité d’un conflit, il existe presque toujours des « non-alignés » : des personnes ou des équipes qui parviennent à communiquer et à collaborer, malgré les clivages. L’existence même de ces exceptions démontre que le blocage n’a rien d’inéluctable.
Le principal enjeu consiste à repérer ces personnes : en général, elles s’efforcent de rester en dessous du radar. Leur discrétion est précisément ce qui leur permet de ne pas s’impliquer dans le conflit ! Pour les identifier, demandez-vous : Comment certaines équipes gèrent-elles plus efficacement le conflit ? Qui sont les personnes qui agissent comme des ponts ? Quelle est la dernière fois où le groupe a réussi à collaborer malgré les divergences ? Qui a fait le liant ? Comment ?
Une fois ces personnes ou ces groupes repérés, favorisez leur influence : faites-les rencontrer les autres acteurs, attribuez-leur des ressources, impliquez-les dans les projets transverses.