L'innovation, c'est d'abord une question de posture managériale
Olivier Couture, directeur de la CAF de la Seine-Maritime
Pour Olivier Couture, directeur de la CAF de la Seine-Maritime, le meilleur moyen de susciter l’innovation au sein des organisations est d’impliquer les managers sur ce sujet et notamment en travaillant leur posture. Il nous explique sa démarche au sein de sa caisse, et revient dans le détail sur les 10 engagements qu’il a mis en place pour et avec sa communauté managériale.
Quelle est votre conception de l’innovation et du rôle des managers ?
L’innovation est au cœur de la fonction managériale. Je ne pense pas que l’innovation se résume à des outils ou des méthodes. Je pense qu’elle doit d’abord venir des managers, de leur posture managériale et de leur capacité à créer les conditions de l’innovation. Si on essaie de la décrire en pratiques observables, on pourrait citer l’ouverture, l’écoute, la capacité à accepter le droit à l’erreur, la capacité à « essayer ». Pour faciliter l’émergence d’initiatives ou d’innovation, des techniques notamment d’animation ou de conduite de changement permettent de faciliter la prise de parole des collaborateurs. Il faut aussi chercher à s’extraire d’une logique verticale et hiérarchique pour laisser davantage la place à la dimension collaborative.
Nous travaillons la dimension innovation, mais pas seulement celle-ci. A la Caf de Seine Maritime, nous avons collectivement défini ce que nous attendions d’un manager aujourd’hui. Cela s’est traduit par 10 engagements.
Dans le cadre de votre projet managérial, vous avez défini 10 engagements…
Engagement 1
Sens
Partager le sens de notre action
afin que chacun puisse se l’approprier
Engagement 2
Usager
Placer l’usager ou client interne au centre des préoccupations de chacun et recueillir régulièrement ses attentes en favorisant l’écoute clients
Engagement 3
Efficience
Interroger régulièrement l’efficience de notre action collective
pour l’ajuster en conséquence
Engagement 4
Confiance
Performer par la confiance en mettant à disposition de chacun l’information dont il a besoin pour agir en toute autonomie
Engagement 5
Coopération
Associer, impliquer chaque fois que possible, les personnes concernées aux projets d’entreprise, afin de fédérer autour d’une vision commune
Engagement 6
Innovation
Encourager la prise d’initiative individuelle et collective et appliquer le droit à l’erreur
Engagement 7
Organisation
Optimiser l’organisation du service : réunions, briefs, suivi, en réinterrogeant nos pratiques régulièrement
Engagement 8
Pilotage
Piloter l’activité de son service et solliciter du feedback auprès de ses collaborateurs et/ou de son manager et le prendre en compte
Engagement 9
Transversalité
Agir en transversalité à tous les niveaux dans un état d’esprit bienveillant
Engagement 10
Compétences
Être acteur du développement des compétences de ses collaborateurs, au service de la performance collective
C’est un besoin que nous avons ressenti à la suite de la crise sanitaire. Il fallait développer un management basé sur la confiance, notamment pour répondre aux nouvelles aspirations des collaborateurs.
Je ne vais pas citer tous les engagements, mais parmi les premières notions clés qui ont émergées :
Le « sens » est apparu en premier : il est impératif d’expliquer les décisions pour que les agents les comprennent et puissent accepter les transformations.
L’« usager » lui aussi est un sujet clé, cet engagement fait sens pour les agents qui sont très attachés à nos missions de service public.
L’« organisation » est un sujet sur lequel j’ai dû moi-même évoluer : dans la gouvernance de la Caf, je me suis rendu compte que l’information mettait parfois du temps à redescendre dans les services, alors j’ai mis en place une gouvernance plus agile et efficace. Ainsi, un brief hebdomadaire avec l’ensemble des managers permet d’informer et d’expliquer l’ensemble des décisions du comité de Direction et d’avoir un impact sur le phénomène d’infobésité.
Comment avez-vous travaillé sur ces engagements ?
Pour commencer, avec l’équipe de Direction nous avons fait de la sensibilisation autour du sujet du management et de la nécessité de le faire évoluer. Nous avons organisé une gouvernance régulière avec les 70 managers pour en discuter. Pour prendre du recul, nous avons été observés comment cela se passait dans d’autres entreprises. Nous avons notamment rencontré le manager général d’une équipe professionnel de sportifs de haut niveau. Nous avons, sur une journée, échangé avec le manager général du Rouen Hockey Club. Au début, les managers ont perçu cette rencontre comme un peu décalée… et au final ils se sont rendus compte que nous avions exactement les mêmes défis, qu’il s’agisse du pilotage de la performance, de la montée en compétences, de l’organisation ou encore de problèmes techniques à régler.
Notre démarche managériale est largement inspirée de celle de France Travail, dont le directeur national est intervenu auprès de nos managers.
Au fur et à mesure de l’avancée du projet managérial, nous sommes rentrés dans le concret, en déterminant ce que nous mettions vraiment derrière chacun de ces engagements, et quels étaient les bonnes pratiques managériales attendues. Tout cela a abouti à un plan d’action, suivi par le directeur des ressources, et que nous pilotons côté direction, avec un grand thème chaque année, par exemple l’IA pour l’année 2025.
Au-delà des 10 engagements, comment suscitez-vous l’innovation managériale ?
Nous avons une expression libre de la communauté managériale, avec un groupe « CAF Id » qui permet à nos managers de se réunir, tous les mois. C’est une instance autonome dans laquelle il n’y a pas d’agent de direction ou de hiérarchie, et qui leur permet de définir eux-mêmes leurs besoins pour répondre aux 10 engagements. Ils travaillent collectivement pour faire des propositions, parmi lesquelles il y a notamment de la formation. Dernièrement, ils ont par exemple exprimé un besoin sur la question du flex office.
Un autre levier consiste en la tenue mensuelle d’une « causerie managériale ». Les managers décident ensemble d’un sujet à mettre à l’ordre du jour, par exemple les modes d’annonce des points de compétences ou les absences injustifiées des collaborateurs. Ils échangent entre eux, avec des collègues ayant rencontré le même type de problème, et partagent leurs bonnes pratiques. C’est en quelque sorte une instance de développement mutuel.
Cette organisation interne permet de diffuser les bonnes pratiques en matière de management mais aussi d’innovation.
Quels retours avez-vous par rapport à toutes ces initiatives ?
Je crois qu’elles sont appréciées, et elles ont notamment été saluées par les organisations syndicales. Dans un contexte de réflexion permanente sur nos organisations, nous obtenons d’excellents résultats au BSI et montre une relation de confiance et une vraie reconnaissance de la part des managers : 93 % des agents se disent satisfaits de leur relation avec leur manager.
Avez-vous d’autres conseils à donner aux managers pour favoriser l’innovation ?
Le manager est devenu davantage un animateur. Il doit être aux côtés de ses équipes au quotidien. Dans mes pratiques, je ne suis pas toujours dans mon bureau, j’ai besoin de voir ce qui se passe concrètement sur le terrain auprès des équipes. J’ai le sentiment que mes décisions sont plus adaptées. Quand vous arrivez dans une unité, c’est là que vous sentez les choses, et que vous pouvez savoir si le service fonctionne bien ou non.
Au final, c’est l’état d’esprit du manager qui est importante. Notre rôle consiste à rester positifs, même lorsque le bateau tangue, et à insuffler de l’énergie aux équipes. Nous sommes dans une belle institution, et j’ai pu constater que lorsqu’on met cette énergie positive dans l’animation d’un collectif de travail, il en ressort toujours quelque chose !