Cultiver sa capacité à penser « hors du cadre »

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Nous avons presque tous déjà entendu la citation de l’inventeur de l’ampoule à incandescence : « Le génie, c’est 1 % d’inspiration, 99 % de transpiration. » Thomas Edison avait raison ! Contrairement à un mythe tenace, la créativité relève moins du don inné que de la pratique. C’est une lumineuse nouvelle pour tous ceux d’entre nous qui se considèrent à tort peu créatifs… à condition de se garder de trois pièges qu’on retrouve partout – et les organismes de Sécurité sociale ne font pas exception :

  • Les œillères de l’expertise : Il est difficile de mettre de côté ses connaissances et ses schémas de pensée… Or, lorsqu’on est expert d’un sujet, cela peut nous conduire à apporter trop rapidement des réponses dont on a la certitude, empêchant la pensée d’explorer des approches inédites.
  • L’utilitarisme : Dans le cadre professionnel, la créativité répond à un but : résoudre un problème ou une crise, fluidifier un processus, etc. En nous focalisant sur l’objectif à atteindre, nous limitons et ralentissons le flux d’idées générées. Pour tirer le meilleur parti de son temps créatif, il faut savoir se départir de la recherche d’efficacité : par exemple, oser dédier du temps à des activités d’observation, d’exploration ou de rêverie.
  • L’autocensure : Inconsciemment, nous auto-évaluons la qualité des idées et nous passons sous silence celles qui nous semblent banales ou irréalistes. Pourtant, une idée objectivement médiocre mais énoncée à voix haute peut déclencher des idées fécondes chez un collègue. Il est donc précieux d’instaurer un climat de sécurité et une liberté de ton dans un groupe pour favoriser la pensée créative.

En gardant ces pièges à l’esprit, voici quatre pistes pour stimuler son processus créatif :

1. Préparer un terreau fertile

Le cerveau ne crée pas en partant de zéro : il recombine un matériau préexistant dans notre mémoire. Nous pouvons ainsi renforcer notre capacité créative de deux façons : en multipliant les idées et les faits collectés par notre cerveau, et en entraînant notre capacité à créer des liens entre eux.

De nombreuses personnalités visionnaires sont connues pour collectionner ainsi de la matière à penser brute. Victor Hugo retranscrivait presque intégralement ses conversations, qu’il réinjectait ensuite par bribes lorsqu’il rédigeait les dialogues de ses romans. Le réalisateur David Lynch ne lâche jamais son dictaphone, avec lequel il enregistre aussi bien des bruits ambiants que des pensées lui traversant l’esprit. Il se replonge ensuite dans ses notes sonores quand il travaille sur un nouveau scénario.

Ensuite, il s’agit de s’employer au réemploi et à l’association des informations et idées glanées. On gagne à entraîner tous les jours sa capacité à générer des idées par recombinaison. Par exemple, avant de vous endormir, choisissez une problématique : « Où vais-je emmener ma famille en vacances cet été ? » ; « Comment vais-je débuter de manière percutante ma prochaine réunion ? ». Le lendemain, au réveil, jetez une vingtaine d’idées sur le papier. Le but est de solliciter régulièrement votre créativité afin de l’affûter.

2. Semer les graines du questionnement

Un autre levier de créativité consiste à aborder sous de multiples angles le problème auquel on réfléchit. Poser différemment la question aide à diversifier les réponses apportées. Une bonne façon de découvrir de nouveaux axes de réflexion sur un sujet connu consiste à conduire des entretiens exploratoires avec des parties prenantes variées, en privilégiant les plus jeunes et/ou les plus âgés, les plus insatisfaits, les plus fréquents, etc. Lorsque vous les interrogez, suspendez votre expertise et concentrez-vous sur l’expérience qu’ils vous décrivent.

Utilisez ensuite les points saillants des entretiens – émotions, dissonances, contradictions, etc. – comme points de départ pour imaginer de nouvelles questions. Comment pourrions-nous créer une offre personnalisée pour l’assurée qui a formulé telle attente ? Comment créer un produit qui réponde au besoin de madame Pichard, et à celui, a priori opposé, de monsieur Braun ? Vous pouvez aussi réfléchir à des questions délibérément provocantes. Comment faire pour passer à côté de cette opportunité à coup sûr ? Comment aggraver notre problème ? À ce stade, il ne s’agit pas de trouver des solutions, mais de faciliter le bourgeonnement d’idées originales.

3. Favoriser la germination d’idées

Un aspect déconcertant de la créativité est qu’en général, plus on cherche, moins on trouve. Les « moments Eurêka » tendent à se produire dans un tout autre contexte que celui d’une réflexion délibérée. Notre cerveau a besoin de papillonner sans but précis pour établir des connexions inédites – d’où une réelle difficulté pour les collaborateurs dont l’agenda laisse peu de place au vagabondage de la pensée.

Avant tout, il faut parvenir à réhabiliter les moments « improductifs » : pour laisser émerger les idées, il est indispensable de se placer régulièrement en situation de rêverie ou d’exploration, sans obligation de résultat. Éviter de focaliser sa pensée laisse de l’espace pour que surgissent des possibilités inédites, issues des connexions inconsciemment effectuées par le cerveau. Un dirigeant a ainsi intégré à sa routine ce qu’il appelle de courtes « retraites tactiques » : dès qu’il bloque sur un problème, il s’autorise une pause – brève marche à pied, micro-sieste, feuilletage d’un magazine, etc.

On peut aussi choisir de nourrir ces plages de « non-productivité » d’incitations à faire diverger sa pensée. Par exemple, lire un billet de blog d’un auteur avec lequel on est généralement en désaccord, puis se laisser du temps pour jouer avec les idées qui en ressortent. Ou parcourir un ouvrage sur un thème auquel on ne connaît rien – la calligraphie, par exemple. On peut aussi rechercher la compagnie de personnes aux idées très différentes des siennes.

Les outils d’IA peuvent aussi jouer un rôle d’interlocuteur surprenant. D’après eux, que penserait un sportif du sujet auquel vous réfléchissez ? Un urbaniste ? Un habitant des favelas de Rio ? Un homme du Moyen Âge ? La confrontation de vos pensées avec les réponses parfois décalées de l’IA peut, elle aussi, faire surgir des idées inattendues.

4. Elaguer les idées pour favoriser la pousse des meilleures

Pour maximiser sa créativité, il est indispensable de la conjuguer avec l’expérimentation. De fait, même quand elle est fructueuse, une phase d’idéation ne suffit pas à identifier la solution avec certitude. Les facteurs qui déterminent si une idée est judicieuse ou non sont trop nombreux, complexes et imprévisibles pour établir un pronostic fiable de leur succès. Il est donc nécessaire de coupler l’imagination et l’épreuve du réel, dans un processus itératif où elles se nourrissent mutuellement.

On observe que c’est l’approche que suivent les grands innovateurs. James Dyson, par exemple, a réalisé 5 127 prototypes avant de lancer sur le marché son aspirateur sans sac. En moyenne, il a testé quatre variations de son idée initiale par jour, pendant quatre ans ! Chaque itération lui a permis de discerner de nouvelles pistes à explorer, d’en éliminer d’autres qui se révélaient être des impasses, jusqu’à aboutir au produit qui a fait son succès. Plutôt que d’attribuer son succès à une idée surgie ex nihilo, il serait plus juste de parler d’une accumulation de micro-ajustements qui ont finalement rendu viable l’embryon d’idée originelle.