A la Carsat Bretagne, une acculturation globale et progressive au feedback
Le feedback (ou « remontée d’information ») consiste à faire ou à recevoir un retour constructif, négatif comme positif, sur une action passée. Déjà solidement ancrée dans la culture anglosaxone, cette pratique est en France plus récente. Responsable du département Accompagnement & innovation, santé et qualité de vie au travail au sein de la Carsat Bretagne, Marina Cuzon nous présente les nombreuses initiatives mises en place dans sa caisse pour y développer l’art du feedback…
Dans quel contexte s’inscrit votre démarche autour du feedback ?
Notre directeur a lancé il y a plusieurs années déjà, en 2019, un projet de transformation qui a vocation à faire évoluer nos modes de fonctionnement. Cela afin de nous rendre plus agiles, plus réactifs et in fine d’offrir une meilleure qualité de service à nos publics.
Dans cette perspective, nous accompagnons en particulier le collectif managérial. C’est pourquoi nous avons commencé en 2020 à former les managers à la communication non-violente ainsi qu’au feedback puis l’ensemble des collaborateurs sur une période de 2 ans. La période post-confinement a été propice à poser cette première brique, sur un sujet qui était encore très nouveau pour nous tous.
Vous aviez auparavant déjà fait évoluer l’entretien annuel…
Oui, nous avions travaillé dès 2018 avec les managers pour identifier avec eux les irritants et les dispositifs à faire évoluer en priorité. Il en était ressorti que l’entretien annuel tel qu’il existait était vécu comme lourd, et qu’il était peu apprécié à la fois des collaborateurs mais aussi des managers eux-mêmes. C’est pourquoi nous avons décidé de le faire évoluer.
Nous sommes ainsi passés l’année suivante d’un dispositif d’entretien annuel assez classique à ce que nous avons appelé le « Cap échanges + ». Comme le nom l’indique, l’objectif de ce nouveau dispositif est de permettre un échange entre manager et collaborateur. Il s’agit en particulier de pouvoir échanger sur le ressenti de ce dernier par rapport au travail, et de travailler davantage sur des engagements réciproques que sur des objectifs ou des compétences à évaluer.
De fait, ces temps d’échange qui ont désormais lieu 2 à 3 fois par an sont appréciés, et non plus redoutés comme auparavant. Ils sont une occasion rare de pouvoir faire et recevoir des feedbacks, de façon constructive et sans opposer les points de vue.
Comment concevez-vous le feedback ?
Le feedback est avant tout une question de posture. Il doit s’inscrire dans une intention qui est de prendre soin de la relation aux autres, afin de faire évoluer les choses de façon positive. Même si un feedback porte toujours un objectif, il ne faut pas se focaliser uniquement sur le résultat.
C’est quelque chose qui n’est pas très naturel, en tout cas dans notre culture d’entreprise. C’est un vrai exercice qui demande un certain temps d’appropriation. Ce que nous aimerions créer et ce vers quoi nous avançons, c’est une culture plus naturelle du feedback, où cela se ferait spontanément dans un climat de confiance mutuelle.
Comment avez-vous accompagné les managers pour s’y acculturer ?
Tous nos managers, soit environ 80 personnes, ont été formés durant l’année 2020. Nous les avons immédiatement incités à mettre en pratique ce nouvel outil lors des « Cap échanges + » avec leurs collaborateurs, afin de commencer à faire infuser cette pratique nouvelle.
Nous avons également mis en place des ateliers d’échange de pratiques, 6 mois après la fin des formations, afin de faire le point sur la façon dont ils s’étaient appropriés ou non l’outil. Nous avons constaté que cela n’était pas simple pour tout le monde, et cela a été l’occasion de comparer et d’échanger sur les façons de faire de chacun. De revenir aussi sur le fait que les feedbacks ne sont pas des recadrages, ni même forcément des feedbacks d’amélioration, mais qu’ils peuvent être positifs et au bout du compte créer de la reconnaissance et de la confiance au sein des collectifs de travail.
Quels autres dispositifs avez-vous fait évoluer dans ce sens ?
D’une façon générale, nous aimons expérimenter par petites touches, en testant des dispositifs ou des façons de faire dans certains services ou directions, pour ensuite décider s’il est intéressant de généraliser ou non la pratique testée.
Dans les dispositifs précis, nous avons mis en place en 2019 le recrutement avec les pairs. Cela permet d’associer vraiment les collègues au recrutement, et cela contribue là aussi à favoriser l’écoute et la confiance au sein des collectifs de travail.
Plus largement, nous avons aussi revu l’organisation des directions en remplaçant les postes de managers stratégiques hiérarchiques par des coordonnateurs, qui gardent une place importante mais qui ne sont plus managers. Cela nous a permis d’avoir une structure moins pyramidale, avec moins d’échelons hiérarchiques. Au final, cela favorise les feedbacks puisque les agents de direction sont en lien direct avec les managers opérationnels, et donc plus connectés aux problématiques de terrain.
Comme pour tout changement culturel, il y a un enjeu d’exemplarité…
Oui, c’est pourquoi notre directeur lui-même s’investit dans le développement de cette culture du feedback et des retours, même lorsqu’ils sont plus informels. A cet effet il tient à rencontrer chaque année l’ensemble des équipes. Il peut ainsi échanger régulièrement avec les 860 salariés de la Carsat, et avoir des retours terrains très concrets.
Des « cafés directeur managers » sont testés depuis le début de l’année. L’idée a été proposée par une manager en miroir des rencontres avec les équipes. Les managers peuvent s’inscrire pour échanger avec le directeur en petit comité, sur tous les sujets qu’ils souhaitent. Ce sont des échanges très nourris autant entre managers qu’avec le directeur.
Le directeur a également testé l’appréciation inversée avec son équipe : 25 questions regroupées en 5 thèmes complétées par chaque agent de direction qui les partagent ensuite entre eux pour faire un retour collectif au directeur sur ce qu’ils aiment bien et ce qu’ils lui conseillent pour progresser. Au-delà de cette démarche qui pourrait être généralisée, le souci de bien comprendre ce que les salariés ressentent est une constante qui fera prochainement l’objet d’un Codir de cogitation.
De la même manière, le Codir participe aux formations managers au même titre que le reste du collectif managérial, ils ne sont pas dans une « session spéciale Codir ». Ce n’est pas toujours simple, notamment pour la formation feedback où la formatrice craignait que la parole soit moins libre, mais c’est un principe auquel nous tenons et qui là aussi permet de montrer l’exemple.
Quelles sont selon vous les conditions pour réussir ce changement ?
C’est un travail de longue haleine. Nous progressons, mais le feedback est encore loin d’être mis en place partout et de façon systématique. Cela dépend de chaque manager, et de la façon dont il s’en empare. Nous les incitons à tester différents formats et différents moments afin que chaque manager s’approprie le feedback qui lui ressemble.
Le feedback n’est pas simplement une formation à un outil que l’on déploie ensuite. Il faut un terreau favorable, qui demande un vrai accompagnement au changement, avec un travail sur la posture du manager et sur la confiance au sein du collectif. Nous y travaillons notamment en veillant à positionner les managers comme des accompagnateurs qui font partie de ce collectif, et qui ne sont ni au-dessus ni à côté de lui.
Enfin, le feedback n’est qu’une brique parmi d’autres dans ce changement de culture managériale. Mais cela vaut la peine de l’entreprendre, car il change en profondeur et positivement nos façons de travailler.