Ghislaine Liekens : « J’avais un profil atypique et j’ai dû convaincre »
Ghislaine Liekens est entrée à la Sécurité sociale à 22 ans, en tant que technicienne. Cette Nordiste déterminée a réussi à gravir les échelons en interne, jusqu’à accéder à des postes de pleine direction. Désormais Directrice de la Cpam du Hainaut dans les Hauts-de-France, elle raconte son parcours édifiant pour #Leaddersauféminin.
En 40 années de carrière à la Sécurité sociale, vous avez connu une belle ascension, quel a été votre parcours ?
GL : Je n’aime pas trop parler de moi, mais je vais tenter de me prêter à l’exercice (sourires). J’aime à dire que je suis un pur produit de la formation interne. Je n’ai pas suivi de grandes études et je suis entrée jeune dans l’Institution.
Il y a 40 ans, alors âgée de 22 ans, je déposais mon sac de travail à la Caf de Maubeuge pour mon premier CDI. Là-bas, j'ai eu la chance d'être placée sous l’autorité d’une manageuse qui a repéré mon implication, mon envie de faire évoluer les habitudes de travail pour que la caisse soit plus performante, et surtout mon attention portée au traitement rapide et efficace des dossiers d’aides financières attribuées aux publics vulnérables, dont les femmes seules avec enfants.
C’est elle qui m’a incitée à suivre les « cours de cadre », une formation spécifique à l’Institution qui, à l’époque, permettaient de devenir manager. C’est ainsi que j’ai franchi ma première étape de formation interne durant ma trentaine, et que je suis devenue à mon tour manager à la Caf de Maubeuge. J’ai assuré plusieurs fonctions, comme chargée de com, RRH, gestionnaire des budgets en cumulant parfois les fonctions, puis attachée de direction avec des dossiers à forts enjeux comme le pilotage du Contrat Pluriannuel de Gestion (CPG).
« À chaque dizaine, j’ai fait quelque chose pour évoluer »
Vous avez ensuite visé plus haut en tentant le concours de l’Ecole nationale supérieure de Sécurité sociale (EN3S) pour devenir Agent de direction ?
GL : Je ne sais pas si c’est le hasard mais à chaque dizaine, j’ai éprouvé le besoin d’évoluer : à 22 ans mon premier CDI, dans la trentaine un poste de manager, et au début de ma quarantaine, j’ai passé et réussi le concours de l’EN3S. Là encore, c’est une rencontre avec mon directeur de l’époque, qui m’a poussée à franchir le pas. Il m’a donné assez confiance en moi pour que je tente la préparation puis le concours. C’est ainsi que j’ai intégré la 43ème promotion.
« J’étais déterminée à démontrer ma valeur, même si je n’étais pas bac +5, que je venais de Maubeuge. »
Comment s’est passée la reprise d’études, puis la sortie de l’EN3S ?
GL : J’avais un profil atypique et j’ai dû convaincre. J’étais déterminée à démontrer ma valeur, même si je n’étais pas bac +5, que je venais de Maubeuge : on sait toutes et tous que ce territoire n’a pas une image très positive ! Je n’avais pas non plus fait preuve jusque-là de mobilité interbranche ou géographique. Je voulais prouver ma capacité d’adaptation en démontrant ma faculté à porter des sujets très divers, sous l’égide de directeurs ayant des visions stratégiques très différentes. J’ai appris de chacun en analysant souvent les conséquences de leurs décisions.
Dès ma décision de tenter le concours, la plus grosse difficulté a été de m’approprier les méthodes de travail correspondant aux épreuves, puis de réussir à m’organiser entre la préparation du concours, mon activité professionnelle et ma vie familiale… Intégrer la scolarité a été, pour moi, une chance, une ouverture vers le champ des possibles mais aussi un vrai « temps suspendu ».
Comme tout(e) élève de l’EN3S, j’ai réalisé des stages dans différentes branches de l’Institution et j’ai été très attirée par le domaine de la santé et le réseau de l’Assurance maladie. J’ai eu la chance de réaliser ces stages dans des caisses innovantes, où des actions partenariales étaient menées afin d’améliorer l’accès à la santé des plus vulnérables. J’ai eu envie d’agir dans ce domaine.
Je souhaitais aussi ardemment quitter le territoire de la Sambre, et c’est la Cpam de Maubeuge qui m’a permis d’obtenir mon premier poste d’agent de direction comme directrice adjointe, puis 18 mois après ma sortie de l’EN3S, j’ai été nommée directrice par intérim.
« J’ai décidé de revenir dans l’Institution qui m’a fait grandir et qui m’a formée. »
Vous avez ensuite été « détachée » quatre ans pour prendre un poste de Directrice générale des services de l’Agglomération Maubeuge Val de Sambre. Pourquoi êtes-vous ensuite revenue à la Sécurité sociale ?
GL : J’ai décidé de revenir dans l’Institution qui m’a fait grandir et qui m’a formée, dans laquelle je m’épanouissais. Une institution où l’on peut s’emparer de nombreux projets tout en gérant nos activités socles.
A l’époque, j’ai opté pour un détachement car le Président de cet EPCI avait su me convaincre de participer à relever les nombreux défis du territoire et les missions de DGS m’intéressaient. Mais aussi parce que la Cpam fusionnait et je ne souhaitais pas redevenir adjointe au sein de la Cpam du Hainaut. Et comme un fait exprès, au regard de contraintes familiales et personnelles, je n’étais plus mobile !
Mais après quatre ans, l’Institution me manquait. Je ne voulais pas imposer mon retour à la Cnam et j’ai fait le choix de postuler sur le poste de directrice adjointe à la Caf de l’Aisne que j’ai occupé un peu plus d’un an. Puis, en 2015, je suis devenue Directrice de la Cpam des Flandres, puis de celle du Hainaut en 2021. La boucle est ainsi bouclée !
Que vous inspire la démarche #Leaddersauféminin, qui vise à promouvoir l’accession des femmes à des postes de pleine direction au sein de la Sécurité sociale ?
GL : En ce qui me concerne, je suis féministe depuis l’âge de 14 ans. J’ai eu une mère qui m’a beaucoup poussée. Elle n’avait pas fait d’études, et elle a tout mis en œuvre pour que ses enfants, garçon comme fille, puissent suivre un cursus. J’ai gardé sa détermination en moi, et je crois que cela m’a beaucoup aidée.
De nos jours, il y a hélas encore du travail à mener dans notre société en matière d’égalité professionnelle, toutefois je crois que dans notre Institution, qui s’est vraiment emparée du sujet, il n’y a plus de doute sur la légitimité des femmes à exercer des postes de pleine direction.
Pour autant, pour oser franchir le pas, il faut parfois réussir à dépasser un « plafond de verre dans la tête », ainsi que des contraintes pratiques, souvent liées à la vie parentale.
« J’aime accompagner celles qui souhaitent passer le concours de l’EN3S en interne. »
Justement, quel message trouveriez-vous important de partager avec les femmes qui réfléchissent à leur carrière ?
GL : Pour dépasser son « plafond de verre mental », je pense qu’il faut être en phase avec ses valeurs et ses objectifs, ce n’est pas un défaut d’être ambitieuse ! Avant tout, il s’agit d’oser ! Il peut être aidant d’observer ce qui se passe au sein de son organisme, de ne pas hésiter à contacter des anciens élèves de l’EN3S, des membres de l’équipe de direction. Il faut essayer de se donner les moyens au maximum en se formant, en portant des projets innovants, en restant en éveil intellectuel.
J’aime accompagner celles qui souhaitent passer le concours, et pour les mères, le principal frein est d’ordre logistique : partir 18 mois à Saint-Etienne peut être l’un des freins… Il faut en faire une histoire de famille et réfléchir aussi à l’après, et aux changements que cela entraînera : l’EN3S est une passerelle, ce n’est que le début de l’aventure.
Mon conseil, d’après mon expérience personnelle, est de ne pas faire de l’âge des enfants un problème incontournable pour tenter le concours. Quand j’ai passé l’EN3S, j’étais maman d’un adolescent, et cela a été parfois compliqué, tout comme pour les mamans de plus petits.
De quoi êtes-vous la plus fière dans votre parcours ?
GL : A part rendre l’organisme plus performant dans le service qu’il rend à la population ? D’avoir l’intuition des virages à entreprendre, d’anticiper les changements de telle sorte que chaque organisme que j’ai pu piloter ait été davantage impliqué sur son territoire.
En interne, ce dont je suis fière, c’est de toujours essayer de repérer les potentiels ou les envies de mes collaborateurs, de les encourager notamment en leur consacrant du temps et de l’écoute, de les aider dans leurs choix de carrière, de prise de poste en adéquation avec les compétences attendues et les défis à relever particulièrement à court terme. J’ai ce besoin quasi viscéral de transmettre, d’accompagner, de faire grandir, d’encourager mais toujours avec humilité !
« La mobilité géographique n’est pas le plus important, c’est la mobilité dans la tête qui compte. »
Vous avez tenu à mener votre carrière au sein d’une même zone géographique, pourquoi ?
GL : Il y a les contraintes personnelles que j’ai évoquées, mais j’ai aussi un attachement fort à ce territoire. Je suis Nordiste, j’ai passé ma petite enfance dans la banlieue lilloise, puis ma famille a déménagé dans l’avesnois. Il y a beau avoir de grandes difficultés dans le département, ce sont aussi des territoires divers, ruraux, urbains, qui ont une Histoire très riche mais aussi de formidables potentiels, où l’on est capable de mener des politiques publiques innovantes. Nous l’avons notamment démontré et observé durant la crise Covid.
Pour moi, la mobilité géographique n’est pas le plus important, c’est la mobilité dans la tête qui compte, la capacité d’adaptation et la volonté de continuer à se former et à apprendre tout au long de sa carrière. Et puis, l’Institution offre aussi de belles opportunités interbranches.
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