« #Leaddersauféminin, pour battre en brèche les préjugés »

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Directeur général de la Caisse nationale d’Assurance Vieillesse, Renaud Villard est aussi membre du Comex de l’Ucanss, qu’il a présidé jusqu’il y a quelques jours. Pour #Leaddersauféminin, ce dirigeant engagé pour l’égalité professionnelle partage ses réflexions sur l’évolution de la parité au sein de l’Institution. 

La rubrique #Leaddersauféminin vise à valoriser la place des femmes dirigeantes au sein de la Sécurité sociale, tout en encourageant les femmes à se tourner vers ces fonctions. Que vous inspire cette démarche ? 

Je la trouve très pertinente. Je crois qu’elle contribue, avec d’autres actions menées au sein de l’Institution, à envoyer des signaux qui affirment le fait qu’il n’existe pas de parcours prédéterminé pour devenir dirigeante à la Sécu. Nous avons la chance de travailler dans une institution très féminisée, qui comporte des femmes à tous les niveaux hiérarchiques, et je m’en félicite. Toutefois, « la base » compte environ 75% de femmes, contre 40% pour le « sommet », alors qu’en toute logique les répartitions devraient être équivalentes, entreprise apprenante oblige. Ce constat est le fruit d’une histoire, bien sûr, et ce sont désormais tous les ans plus de femmes que d’hommes qui deviennent dirigeantes à la Sécurité sociale, mais cela doit nous encourager à ne pas relâcher nos efforts. 

C’est ce que montre cette rubrique, à travers ces témoignages : en tant qu’employeur, la Sécu ne s’assied pas sur ses lauriers, elle doit toujours progresser. J’espère que ces interviews, qui mettent en lumière des parcours divers, inspireront en particulier des profils de manageuses intermédiaires ou stratégiques, qui peuvent se dire « tout cela n’est pas pour moi, il y a un plafond de verre », et pourtant, regardez, certaines l’ont brisé avant vous ! 

 

Durant votre carrière, vous avez souvent travaillé sous la direction de femmes et vous avez également co-écrit une bande dessinée sur Catherine de Médicis, une figure de pouvoir au féminin très décriée, en partie en raison de son genre. Pensez-vous qu’il existe une forme de leadership propre aux femmes ? 

J’ai en effet eu plus de cheffes que de chefs, hasard des carrières bien sûr, mais qui contribue sans doute aussi à forger des convictions ! Sur le leadership féminin, d’un point de vue théorique, je n’y crois pas du tout. Je ne pense pas qu’il existe une sorte « d’éternel féminin », qui voudrait par exemple qu’une dirigeante soit empathique et un dirigeant autoritaire. 

En revanche, je crois qu’il faut sortir de l’idée que la figure du dirigeant est neutre, notamment quand on considère l’histoire. L’archétype du leader emprunte encore beaucoup trop à des métaphores virilistes, héritées de nos ainés : on imagine le dirigeant en cravate, qui parle fort voire boit du whisky avec ses collègues le soir… C’est pour cela que nous devons monter des initiatives comme #Leaddersauféminin, pour battre en brèche ces préjugés. 

À mon sens, les qualités liées au leadership sont profondément humaines, et non genrées. Toutefois, il faut considérer que les femmes qui sont leaders de premier plan aujourd’hui, avec 15 ou 20 ans de carrière, ont forcément franchi plus de haies que les hommes. Passer de tels obstacles, cela vous nourrit et forge une personnalité. 

Pour l’anecdote, quand je suis arrivé à la Cnav, il y avait encore des directrices qui souhaitaient se faire appeler directeur. Je me suis beaucoup investi pour qu’elles utilisent le terme de « directrice », reconnu d’ailleurs par l’Académie française qui a tranché cette question, et certaines m’en ont voulu. Si nous sommes en désaccord, il faut aussi comprendre leurs arguments et ce qu’ils racontent d’elles : elles se sont battues pour grimper les échelons, à une époque où les postes de pouvoir étaient définis comme masculins. 

« Une ou un leader Sécu, c’est une personne très orientée performance, avec un épais socle de bienveillance »

Comment définiriez-vous le leadership Sécu ? 

Pour être tout à fait franc, je ne suis pas forcément à l’aise avec la notion de leadership, non pas parce qu’il s’agit d’un anglicisme, mais parce que cette expression renvoie à la notion de guide, de berger avec ses moutons. Sans être un inconditionnel des pyramides inversées, je préfère la notion de responsabilité à celle de leadership. 

Pour répondre à la question, je dirais que ce sont les valeurs communes de l’Institution qui déteignent sur la fonction de dirigeant. Je trouve l’employeur Sécu hyper bienveillant : je connais peu d’organisations, privées ou publiques, dans lesquelles, quand une personne est en grande difficulté, on propose autant de formations, d’accompagnements, de repositionnements, avant d’envisager une rupture, et cela avec une vraie sincérité. Cette bienveillance de l’employeur déteint sur l’ambiance interne, avec un collectif très solidaire. 

Ce que j’espère et ce que je crois, c’est qu’il faut incarner cela dans nos responsabilités de dirigeantes et de dirigeants. Cela n’empêche pas d’être exigeant et performant, mais avant d’aller à la solution facile, nous devons essayer de trouver l’endroit où les collaborateurs peuvent apporter leur valeur. 

Une ou un leader Sécu, c’est une personne très orientée performance, qui l’assume davantage peut-être que dans d’autres services publics, mais avec un épais socle de bienveillance, une couche réelle, pas forcée – nous ne sommes pas des happiness managers. A l’inverse, si nous étions seulement dans la performance, nous perdrions ce qui fait je crois l’ADN de notre institution ! 

« Aujourd’hui, je suis aussi bousculé par les plus jeunes, et c’est tant mieux ! »

Vous semblez très attaché à la question de l’égalité professionnelle, l’avez-vous toujours été ou avez-vous eu à un moment de votre vie ou de votre carrière un « déclic » ? 

J’ai été très sensibilisé à ces questions grâce à la politique, à la fin des années 90, au moment des débats sur la parité et les quotas en politique : ils sont venus bousculer des certitudes, celles d’un citoyen théoriquement neutre en tous points. J’ai tôt été embarqué dans cette idée que les quotas sont un mal nécessaire, mais indispensable, pour contribuer à corriger une situation inégale. 

Aujourd’hui, je suis aussi bousculé par les plus jeunes, et c’est tant mieux. Il se trouve que j’ai des enfants jeunes adultes, ces enjeux sont ancrés pour eux comme une forme d’évidence. D’ailleurs, ils n’hésitent pas à me reprendre sur certains sujets, et c’est très bien !

« Le meilleur moyen de freiner ces biais collectifs, c’est aussi la représentativité. »

En tant que Directeur de la Cnav comment agissez-vous pour l’égalité professionnelle ? 

C’est un sujet sur lequel j’ai toujours assumé d’être un peu raide. Si j’entends des remarques déplacées, je m’efforce de ne rien laisser passer : sur le sujet et sur l’ensemble des discriminations, je crois qu’il faut assumer ce rôle de gardien du temple. Je crois beaucoup à l’ombre portée du langage : les « petites remarques », les « petites blagues », mises bout à bout, pèsent lourd. 

Pour ce qui relève du pénal, nous sommes intransigeants et sur le sexisme ordinaire, c’est un vrai combat personnel. Certains trouvent que j’en fais parfois trop, mais nous devons tous nous investir pour éviter de reproduire certains biais. Bien sûr, ce n’est pas évident, je travaille aussi sur moi-même : je ne me prétends ni modèle ni, moins encore, parfait. 

Le meilleur moyen de freiner ces biais collectifs, c’est aussi la représentativité : plus les profils sont divers dans un collectif ou une instance, plus vous diminuez les possibilités de biais. Nous investissons aussi dans la communication pour marteler les messages, et aussi dans la formation, des managers notamment. 

 

Quels leviers peuvent être activés ? 

Ils sont nombreux. Un exemple au cœur de notre actualité : dans la négociation de notre futur accord « Qualité de Vie et Conditions au Travail », nous allons proposer d’instaurer le recrutement par les pairs (ndlr : un processus de recrutement où l’équipe est impliquée). Comme notre organisation est très féminisée, cela peut contribuer à réduire les biais, j’espère que ce sera signé. 

L’index « égalité professionnelle » est un bon outil, qu’il faut compléter d’un travail sur le plafond de verre, via l’accompagnement des carrières et la levée des freins invisibles, c’est là-dessus que je porte toute mon attention, s’agissant notamment de la mobilité interne à la Cnav.

Il faut aussi savoir revenir à la pureté de la lettre : le code du travail est très bien fait sur les sujets de discrimination, de comportements sexistes ou homophobes, nous devons l’appliquer, dans toutes ses exigences. 

 

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