Isabelle Lustig : « Le doute m’a beaucoup aidée »
À la fois directrice de la Carsat et du régime local d’Assurance maladie d’Alsace Moselle, Isabelle Lustig livre ses réflexions sur la fonction de dirigeant à la Sécurité sociale pour Leadders au féminin. Cette « fan de la Sécu » se confie sur sa vision du leadership, entre humilité, écoute et sens du timing.
Vous avez étudié à Science Po Strasbourg, puis à Science Po Paris, pour ensuite intégrer l’École Nationale Supérieure de Sécurité Sociale (EN3S) en 1996, était-ce votre premier choix ?
IL : Je suis allée à Science Po Paris pour faire la prépa ENA, et j’aime à dire que la meilleure chose qui me soit arrivée, c’est d’avoir raté l’ENA (1) ! (rires). L’EN3S n’était pas mon premier choix, mais dès que j’ai intégré l’école, et surtout dès le premier stage qui arrive très vite, et qui permet un contact rapide avec le terrain, je me suis dit que c’était une super chance, tant pour le côté protection sociale que pour le côté métier, en particulier l’enseignement des techniques de management.
Je reste aujourd’hui très attachée à cette école, j’ai été membre du jury de sortie et je suis membre du jury d’entrée depuis trois ans. L’EN3S prépare très bien au métier de cadre dirigeant : c’est un mix de théorie et de pratique.
(1) Désormais devenue L'Institut national du service public (INSP).
Sur twitter et dans vos interventions publiques, vous vous décrivez comme une « fan de la Sécu ». Vous êtes aussi amenée à présenter l’EN3S dans des grandes écoles, que dites-vous aux étudiants pour les convaincre de s’intéresser à cette formation ?
IL : C’est vrai, je suis très fière de travailler pour notre système de solidarité. Il fait partie des valeurs de la France. La Sécurité sociale, c’est un peu comme un matelas qui permet d’atténuer les conséquences de l’ensemble des risques maladie, vieillesse… Ce matelas permet de sécuriser des chemins de vie, ce n’est pas parfait, mais il peut donner le pouvoir de rebondir pour faire ses choix de vie. J’ai eu la chance de travailler pour l’International Social Security Association (AISS), et j’ai pu mesurer la chance que c’est d’avoir notre modèle de protection social français.
En ce qui concerne mon discours auprès des étudiants, c’est vrai qu’à 22-23 ans, la Sécu reste encore très vague en tant que service public ou choix de vie. Je leur parle donc de tout l’intérêt et de la richesse de ce modèle. Le deuxième argument, c’est l’intérêt des métiers de managers et la mobilité géographique et fonctionnelle qu’offre cette formation.
« Je ne crois pas avoir douté ou hésité à postuler sur des postes car j’étais une femme, mais plutôt par rapport à mon âge ou à ce que j’identifiais comme un manque d’expérience. »
Justement, vous avez connu une importante mobilité professionnelle entre les branches, maladie, recouvrement, vieillesse... et aussi géographique, comment l’avez-vous vécue ?
IL : En fait, j’ai vraiment vécu la mobilité comme une opportunité, cela m’a permis de faire des rencontres et de construire un projet de vie. C’est une vraie chance de pouvoir découvrir plusieurs branches de la Sécurité sociale. Il n’y a pas toujours de convergences des outils, et les missions sont distinctes, mais le principal, les valeurs, sont communes.
Que vous inspire la démarche #Leaddersauféminin qui vise à appuyer la progression des femmes sur des postes à responsabilités ?
IL : Je n’ai jamais fait de différences entre les hommes et les femmes. En ce qui me concerne, le fait d’avoir été une femme dans l’Institution n’a jamais été discriminant, ni négativement ni positivement. Je ne crois pas avoir douté ou hésité à postuler sur des postes car j’étais une femme, mais plutôt par rapport à mon âge ou à ce que j’identifiais comme un manque d’expérience.
Quand j’ai candidaté il y a six ans sur le poste de directrice de la Carsat Alsace Moselle, j’étais dans un organisme à côté, l’Urssaf Alsace, en tant que directrice régionale adjointe. Au début, je me sentais trop jeune et pas forcément assez mûre. J’ai postulé en me disant « je n’ai aucune chance », et de fil en aiguille, d’entretien en entretien, cela a fonctionné. Je crois qu’au final le doute m’a beaucoup aidée : parce que cela a renforcé mon investissement pour préparer mes entretiens, travailler les documents le soir, avoir des échanges avec les autres directeurs…
« Diriger, c’est aussi définir les priorités de l’organisme et avoir le courage de choisir ses combats. »
Justement, dans un podcast très intéressant intitulé « Humains », vous témoignez de votre parcours et vous affirmez « j’ai plus douté de moi-même que du collectif », le doute peut-il aider en matière de leadership ?
IL : Je crois en effet que la co-construction, la coopération et la convivialité fluidifient les relations managériales. Le conseil que je donne souvent aux agents de direction, c’est de veiller à conserver une humilité et une écoute des autres. Pour l’anecdote, quand j’ai pris mes premières fonctions, c’est Marie-Renée Babel, bien connue dans l’Institution, qui m’a recrutée. Elle a fait le choix étonnant d’embaucher une externe sur un poste de responsable d’un centre d’assurance maladie, habituellement occupé par une personne interne.
Mon adjoint avait alors 58 ans, il m’a vue arriver toute jeune, mais au bout de quelques semaines, il a compris que je n’étais pas là pour faire la grande cheffe. Je pense qu’il faut être dans une relation de co-construction quand on arrive fraîchement diplômée avec le dynamisme de la jeunesse, et faire attention, comme je le souligne dans le podcast, à bien embarquer tous les collaborateurs dans la démarche. Diriger, c’est aussi définir les priorités de l’organisme et avoir le courage de choisir ses combats.
Vous dirigez aujourd’hui deux organismes : la Carsat et le régime local d’Assurance maladie d’Alsace Moselle, qu’est-ce qui vous plaît dans votre travail ?
Cette double direction me conduit, par exemple, à travailler avec deux conseils d’administration en même temps, c’est un défi, mais très intéressant. Le régime local m’amène à échanger avec le ministère de la Sécurité sociale pour faire bouger les lignes. Cet aspect stratégique/politique, est très stimulant intellectuellement, c’est génial. Ma vraie fierté surtout, c’est que les deux organismes évoluent et avancent !
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