« La meilleure arme des femmes, c’est leur réputation professionnelle »
Dirigeante de Cpam depuis 15 ans, Emmanuelle Lafoux est très attentive à la cause des femmes. Dans son organisme actuel, la Cpam du Rhône, elle a notamment lancé un programme de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Pour #Leaddersauféminin, cette dirigeante féministe se confie sans fard sur son approche managériale et sa vision des femmes au travail.
Depuis votre entrée à la Sécurité sociale, vous avez travaillé pour des Cpam, mais aussi à l’hôpital, est-ce votre attrait pour la santé qui a guidé ce parcours ?
C’est le domaine de la santé, du soin au sens large. Ce qui me passionne, c’est l’échange avec les professions médicales et d’essayer d’avoir la meilleure organisation. Finalement, le cœur du sujet c’est l’humain : comment prendre soin des gens le mieux possible.
J’ai commencé à travailler jeune, j’avais 22 ans quand je suis sortie de l’Ecole nationale supérieure de Sécurité sociale (EN3S). J’ai débuté dans un établissement de santé de court séjour le CMCO (ndlr : avant la création des Ugecam), dont on m’a rapidement confié la direction.
Vous avez ensuite occupé de nombreux postes de direction : qu’est-ce qui a facilité ces évolutions ?
J’ai beaucoup bougé dans ma carrière, notamment car mon conjoint est administrateur territorial, et j’ai évolué très rapidement grâce à cette grande mobilité géographique et fonctionnelle.
En début de carrière, j’ai hésité entre l’hôpital et la Sécu. Finalement, j’ai pu faire les deux, car j’ai été détachée deux ans au CHU de Nancy sur un poste de Directrice de la qualité et de la clientèle. J’ai adoré cette mixité de parcours, ainsi que la diversité des champs professionnels : comptabilité, qualité de service, ressources humaines, puis directrice de la Cpam des Vosges, de Moselle, et de celle du Rhône désormais.
« Il faut dire aux jeunes femmes qu’elles ne se freinent pas, ne se sous-évaluent pas, mais qu’elles ne se mettent pas non plus l’horizon impossible d’être parfaite en tout. »
Qu’est-ce que #Leaddersauféminin vous inspire ?
Moi, je suis féministe et je n’hésite pas à l’affirmer. Je pense que les femmes doivent bénéficier d’un soutien fort dans le monde professionnel. Il faut être réaliste sur les difficultés qu’elles rencontrent. En ce qui me concerne, le fait d’être une femme n’a pas été facilitant dans ma carrière. C’est par exemple plus difficile pour les prises de parole : dans une réunion, même dans les jurys, on écoute moins les femmes, et elles restent sous-représentées dans les interventions publiques et les postes à responsabilités. Il faut s’y préparer et ne pas hésiter à s’affirmer, à travailler sa posture et sa voix.
De nos jours, les comportements sexistes explicites sont moins tolérés, mais les femmes sont confrontées à toutes les injonctions de la société, comme celle d’assumer dans leur vie privée plus de travail que les hommes, et cela les expose au niveau de leur santé et peut les pousser à renoncer à cause de la charge familiale. Avec mes collaboratrices, j’encourage beaucoup les deuxièmes parties de carrière, car une fois que les enfants sont élevés, certaines femmes commencent à se réinvestir professionnellement.
À mon avis, la meilleure arme des femmes, c’est leur réputation professionnelle, leurs compétences. C’est ma réputation professionnelle qui m’a permis de trouver des postes au fil de mes nombreux déménagements. Il faut dire aux jeunes femmes qu’elles ne se freinent pas, ne se sous-évaluent pas, mais qu’elles ne se mettent pas non plus l’horizon impossible d’être parfaite en tout. Aussi, je leur conseillerais de bien choisir leur conjoint : un partenaire qui vous encourage, prend sa part à la maison, ça fait des vies bien différentes !
Quel profil de dirigeantes vous a le plus inspirée ?
Ma première boss Marie-Paule Klein, qui est partie à la retraite l’an dernier, m’a beaucoup appris. Il y aussi eu Marie-Renée Babel. Des femmes courageuses, avec une vraie vision stratégique.
Au sein de la Cpam du Rhône, vous être signataire d’une Charte contre les violences faites aux femmes avec le Grand Lyon, comment cela se traduit-il ?
Il s’agit d’un programme destiné aux salariées. Sachant que nous comptons 80% de femmes dans nos effectifs, et compte tenu du taux de violences subi par les femmes, nous avons probablement 160 femmes qui pourraient théoriquement être dans des situations de violences.
Nous menons des actions de sensibilisation et nous diffusons le violentomètre, ainsi que les numéros à contacter en interne ou dans les associations. Nous participons aussi à un réseau de relais interne pour accueillir les femmes et les collègues victimes.
« Il n’y a aucune formule magique sur les postes de sorties. Je crois en la sérendipité, au fait de saisir les occasions qui se présentent »
Quel message trouveriez-vous important de partager avec les femmes ou les hommes qui réfléchissent à leur carrière à la Sécurité sociale ?
Apprendre tout au long de sa carrière : lire, écouter, observer. Il faut apprendre de celles et ceux avec qui on travaille, observer même quand ça dysfonctionne, on peut toujours apprendre de tout.
A mon avis, il n’y a aucune formule magique sur les postes de sorties. Tous les postes sont intéressants, car il y a plein de façons d’occuper un poste. Dans une vie professionnelle, il y a beaucoup de hasard, je crois en la sérendipité, au fait de saisir les occasions qui se présentent, au lieu de considérer qu’on construit des trajectoires, il faut être opportuniste par rapport à ce qui se présente. Cela vaut pour une carrière mais aussi pour le pilotage des équipes. J’essaie de sortir des visions par objectifs, ultra raisonnées, programmatiques, où l’on passe en fait son temps à s’adapter et à faire autrement que ce qu’on avait pensé. Le management par objectif doit rester à sa juste place.
Qu'est-ce qui vous a donné envie de devenir dirigeante ?
C’est le pouvoir d’agir, d’entreprendre des choses. Quand vous êtes dirigeant, vous avez une plus grande capacité d’impacter votre environnement et de permettre aux autres de le faire, et aussi j’apprécie l’efficacité !
J’ai mené de nombreux chantiers ambitieux dans ma vie professionnelle : la réunion de trois organismes en Moselle, la phase de déploiement des plateformes téléphoniques à la Cnam, ou encore la préparation du premier accord d’intéressement à la Cnam…
« Le plus gros défi pour les dirigeants, c’est de redonner du pouvoir au salariés, mais dans un cadre collectif »
Justement, dans votre Cpam actuelle vous menez un travail de fond sur le renouveau des pratiques managériales ?
En effet, à la Cpam du Rhône, mon grand chantier est d’impulser un management respectueux des compétences et du potentiel de chacun. Un management plus simple, moins hiérarchique, qui permet à chacun d’entreprendre. Je suis assez attachée à l’égalité entre les personnes : nous avons des statuts hiérarchiques différents, mais nous pouvons tous apporter à l’organisme.
Le plus gros défi pour les dirigeants, c’est de redonner du pouvoir au salariés, mais dans un cadre collectif. Plus on leur enlève du pouvoir, plus ils sont désengagés et en colère. Pour leur en redonner, il faut aller à l’encontre d’une culture managériale très installée, très contrôlante. Je n’ai pas de solutions toutes prêtes, je continue à chercher.
« Une Directrice ou un Directeur n’a pas besoin d’être dans une posture surplombante pour avoir de l’impact »
Justement, comment envisagez-vous votre rôle de dirigeante avec ce type de management ?
Je cultive une grande simplicité relationnelle, j’essaie d’être accessible et d’échanger le plus souvent avec nos 1 750 salariés. D’ailleurs à la direction, nous fonctionnons en espaces collaboratifs : pas de grands bureaux et de moquette épaisse chez nous. Je crois qu’il y a tout un raisonnement à avoir sur les attributs symboliques du pouvoir. Sont-ils réellement nécessaires ? Je ne le pense pas. Une Directrice ou un Directeur n’a pas besoin d’être dans une posture surplombante pour avoir de l’impact.
À mon sens, on tient sa légitimité de la cohérence entre la parole et les actes, les collaborateurs y sont très attentifs. Mon rôle n’est pas de dire aux gens ce qu’ils doivent faire, mais de créer les conditions pour qu’ils puissent bien faire leur travail : les collaborateurs ont besoin d’arbitrages, mais aussi de soutien, de conseil et d’orientations générales, plus que de micro-management.
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