« En devenant directrice, j’ai voulu tracer ma propre voie »
Directrice générale de la MSA du Languedoc, Marie-Agnès Garcia a mené une belle carrière au sein de la Sécurité sociale. Accéder à des fonctions de pleine direction lui a permis de créer un leadership à son image, porté sur le collectif et le renouveau managérial. Pour #Leaddersaufeminin, elle se confie sur son parcours et prodigue des conseils pour dépasser le « complexe de l’imposteur ».
Parlons de la genèse de votre carrière, vos études. Après Science Po Paris, vous avez intégré l’École Nationale Supérieure de Sécurité Sociale (EN3S), pourquoi cette école ?
MAG : Ce sont des administrateurs de caisses de Sécurité sociale, rencontrés lors d'une intervention à Science Po, qui m’ont donné envie d’y travailler. En les écoutant, j’ai eu l’impression qu’il s’agissait d’une institution où l’on pouvait disposer d’une certaine liberté, qu’il était possible d’y porter les valeurs du service public, tout en gardant une marge de manœuvre dans la capacité à innover et à porter des transformations, marge que je n’identifiais pas de la même manière dans les autres administrations.
Durant votre carrière, vous avez connu une grande mobilité à la fois régionale mais aussi entre les différentes branches de la Sécurité sociale, qu’est-ce que cela vous a apporté ?
MAG : En effet, j’ai travaillé à la Carsat des Pays-de-la-Loire, à la Cpam du Puy-de-Dôme, à la Carsat du Sud-Est, à la Cpam de Paris, puis j’ai dirigé la Cpam du Maine-et-Loire, avant de prendre la direction de la MSA du Languedoc en février 2020. En fait, je n’ai jamais eu de plan de carrière, cela a été plutôt des suites d’opportunités ou de nécessités familiales.
La mobilité, c’est quand même souvent une contrainte, il faut déménager, embarquer la famille et les enfants, mais finalement, avec le recul et en faisant le bilan, maintenant que j’ai cinquante ans, je me rends compte que cela m’a ouvert des perspectives que je n’aurais jamais pu envisager. Par exemple, je n’avais jamais pensé à postuler au régime agricole, mais quand mon mari a été muté dans le Languedoc, j’ai été amenée à ouvrir mes perspectives, et finalement le fait de diriger une MSA se révèle très porteur en matière d’expériences et de diversité des projets. Je n’aurais jamais connu cela si j’étais restée dans ma zone de confort.
« J’ai la conviction qu’on ne transforme par les structures par la seule organisation. »
Pourquoi avez-vous voulu devenir directrice ?
MAG : J’ai beaucoup aimé occuper des fonctions d’agent de direction (ADD) : j’ai eu une carrière très marquée par la relation de service, la production, et je n’avais pas forcément envie de devenir directrice en tant que telle. Le déclic est venu lorsque j’ai dû travailler avec un directeur avec lequel j'avais une divergence de points de vue. Alors, j’ai voulu tracer ma propre voie et prendre une fonction de dirigeante, qui me permettrait de définir mon propre chemin.
Certaines personnes hésitent parfois à postuler sur un poste de directrice car elles se disent que c’est très dur, mais en fait pas forcément, car on a davantage la possibilité d’imprimer sa marque et d’être autonome. Diriger demande en effet certains sacrifices, mais cela me semble moins difficile que d’être dans une équipe soumise au bon vouloir d’une autre personne que soi.
Comment définiriez-vous vos valeurs managériales ?
MAG : J’ai la conviction qu’on ne transforme par les structures par la seule organisation. Pour moi, ce sont les modes de fonctionnement qui priment. Les choses vont bien à l’extérieur si elles vont bien à l’intérieur, cela passe par le plaisir au travail et la dynamique interne. Cela suppose de travailler sur la posture managériale, à commencer par celle de la direction.
Je crois que la performance peut aussi s’obtenir dans le plaisir à être ensemble, et que c’est en redonnant de l’autonomie et du pouvoir aux personnes qu’on peut arriver à une performance plus juste. Le travail d’un leader c’est vraiment de faire émerger toutes les forces de ce collectif. Et compte tenu de ce que j’ai moi-même vécu, je suis très attachée à l’adhésion de ceux avec lesquels je travaille au projet commun et aux manières de faire.
« Ce qui a été le plus compliqué, c’est le regard que je portais sur moi-même. »
Que vous inspire la démarche de #Leaddersauféminin, avec l’ouverture de cette rubrique et l’enquête en cours sur les freins réels ou ressentis à la progression des femmes à des postes de pleine direction ?
À première vue, pour être tout à fait honnête, cela m’a inspiré un peu de malaise : le terme « leadders au féminin » peut renvoyer l’idée qu’il y aurait une manière différente de diriger quand on est une femme, ce qui n’est pas du tout le cas à mon sens. Mais une fois ce malaise dépassé, et sans se laisser enfermer dans une notion de leadership féminin qui pourrait être réductrice, la démarche est intéressante, car elle met l’accent sur un vrai sujet : le fait que pour les femmes ce n’est pas si évident, qu’il existe des freins. Il est nécessaire d’identifier les facteurs, qui peuvent être liés à des freins sociologiques, internes et externes et aussi au processus de sélection.
« J’ai réussi à affirmer autrement mon autorité, cela m’a appris qu’il vaut mieux être soi-même, qu’il n’y a pas qu’un seul modèle. »
Justement, en tant que femme, avez-vous eu l’impression d’avoir dû faire plus vos preuves, de faire face à davantage de freins ?
Finalement, pas tant que cela en ce qui me concerne. En revanche, ce qui a été le plus compliqué c’est le regard que je portais sur moi-même. Je crois que notre institution, la Sécu, est plus ouverte aux femmes, en comparaison avec ce que j’observe à l’extérieur. Pour moi, les vrais obstacles ont été les barrières que je me suis mise à moi-même. Ce sentiment, parfois inconscient, qu’on appelle « complexe de l’imposteur » : quand on compte trop sur le regard des autres, plutôt que de suivre son intuition. J’ai mis du temps à m’en détacher, quand on est une femme, c’est difficile d’atteindre cette lucidité et de rejeter une pensée qui nous enferme dans des rôles qui sont très ancrés socialement.
Avez-vous été amenée à travailler vos postures ?
J’ai appris à affirmer mon leadership autrement, notamment quand j’ai dû intégrer un conseil d’administration qui avait une représentation très masculine de l’autorité, il fallait parler fort, avoir une posture affirmée. Moi, je dis les choses doucement, même si je me positionne fermement, et j’ai eu des doutes, peut être que je ne parle pas assez fort, mais j’ai vraiment été épaulée par mes équipes qui m’ont dit « ne te laisse pas faire, ta posture est adaptée », et dans la durée j’ai réussi à affirmer autrement mon autorité, cela m’a appris qu’il vaut mieux être soi-même, qu’il n’y a pas qu’un seul modèle.
« Si c’était à refaire, je serais plus ambitieuse dès le départ, j’explorerais des univers différents et moins linéaires. »
Quels conseils donneriez-vous à des personnes qui ambitionnent d’occuper des fonctions de direction à la Sécurité sociale ?
De se détacher du regard des autres, de suivre ses convictions, tout en restant lucides. C’est aussi important de se faire accompagner et d’être bien entouré par des personnes de confiance pour garder le recul nécessaire et rester authentique.
Qu’est-ce qui vous plait le plus dans votre poste actuel ?
Mon expérience avec la MSA : c’est vraiment un renouveau complet ! En comparaison avec le Régime général, il y a une dimension très politique, notamment dans la capacité à porter des projets en lien étroit avec les partenaires locaux, auprès desquels nous avons une vraie crédibilité. L’ADN du régime agricole c’est le fait d’avoir un guichet unique pour les prestations familiales, sociales, liées au risque maladie, à la retraite… Cela permet d’inventer des dispositifs innovants qui sortent des sentiers battus. En ce moment par exemple, nous avons deux projets très intéressants : l’un sur les femmes dans l’agriculture, avec un volet pour prévenir les violences sexistes et sexuelles, et un autre projet de revalorisation des emplois agricoles.
Avez-vous des regrets concernant votre vie professionnelle ?
Si c’était à refaire, je serais plus ambitieuse dès le départ, j’explorerais des univers différents et moins linéaires. Il m’a fallu du temps pour dépasser le complexe de la bonne élève, qui veut être parfaite, et c’est vraiment quand je me suis affirmée, que je suis sortie des sentiers battus et des injonctions normatives, que j’ai pu prendre des sentiers de traverse. J’ai aussi perdu du temps, mais dans un sens c’est ce qui permet de se construire.
Quel est le meilleur conseil que vous ayez reçu ?
Il y a vraiment un conseil qui m’a marquée, c’est dans le film Les Bronzés (rires) : « Oublie que tu n'as aucune chance, vas-y, fonce ! On ne sait jamais, sur un malentendu ça peut marcher ». Eh bien, c’est un excellent conseil qui m’a beaucoup servi. Souvent les jeunes qui démarrent ont le sentiment qu’ils ne sont pas la hauteur, c’est un vrai moyen de dépasser cette autocensure. Quand j’ai présenté ma première candidature, tout le monde me disait « tu n’as aucune chance », et finalement je suis sortie du chapeau !
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