Agnès Basso-Fattori : « Sois toi-même, fais ce que tu aimes et travaille ! »

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Réformes du RSI et de l’EN3S, transformations et restructurations… En 26 ans de carrière, Agnès Basso-Fattori s’est investie dans de nombreux projets complexes et transverses. Elle a aussi occupé des fonctions de management de grosses unités dans le « recouvrement » et une direction de caisse dans la branche famille.

Désormais Directrice générale déléguée à la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), en charge de la direction du réseau Caf, cette passionnée d’innovations concrètes partage son expérience avec les femmes qui aspirent à prendre des fonctions de direction. Une interview #Leaddersauféminin.

Comment êtes-vous entrée à la Sécurité sociale ? 

ABF : Il faut revenir à des temps très anciens (rires). J’ai eu durant mes études, dans les années 1990, un parcours assez classique : une hypokhâgne, puis l’IEP d’Aix-en-Provence. Au départ, j’étais très intéressée par les relations internationales, je ne me destinais pas à la Sécu.

J’ai ensuite découvert l’École Nationale Supérieure de Sécurité sociale (EN3S), qui forme les cadres de la Sécurité sociale, et ce que je trouvais très intéressant c’était la diversité des métiers et des horizons qu’offre cette formation. On peut travailler au sein de différentes branches, se tourner vers du management ou des métiers d’experts, de la conception comme de la déclinaison des politiques publiques. En fait, je cherchais du concret et une diversité dans les missions.

« A mon retour de congé maternité, le directeur m’a proposé de devenir directrice générale adjointe de l’Urssaf Ile-de-France. »

Durant votre carrière, pour combien de branches de la Sécurité sociale avez-vous travaillé ?

ABF : J’ai travaillé pour deux branches : d’abord le recouvrement pendant 16 ans, puis la branche famille, dans une Caf et ensuite à la Cnaf pendant près de huit ans. Soit près de 24 ans à ce jour dans les organismes de Sécurité sociale.  J’ai démarré comme chef de cabinet à l’Urssaf de Lyon, un poste très formateur car l’on aborde la caisse dans sa transversalité. J’y ai aussi fait mes premiers pas dans le management d’équipes de production.

À la suite d’une mobilité, j’ai ensuite dirigé une direction départementale de recouvrement et travaillé sur la déconcentration de l’Urssaf de Paris région parisienne, sur la construction de son premier plateau téléphonique, puis sur le pilotage et la coordination des directions départementales du recouvrement…

A mon retour de congé maternité, le directeur m’a proposé de devenir directrice générale adjointe de l’Urssaf Ile-de-France, avec de nombreux projets transverses et de transformation à mener, allant du transfert de recouvrement des cotisations d’assurance chômage à l’Urssaf, à la création d’un service novateur de lutte contre la fraude, puis à la réorganisation des activités de recouvrement autour d’une approche segmentée des publics. J’ai aussi eu à y gérer, avec les caisses RSI d’IDF, les suites difficiles de la mise en œuvre de l’Interlocuteur Social Unique (ISU).

« J’ai fait ce qu’on appelait à l’époque « le double saut » : un changement de branche et un premier poste de directrice. »

Durant cette période, vous avez aussi contribué à réformer la formation des agents de direction de la Sécurité sociale ? 

ABF : J’ai en effet eu la chance de travailler dans le cadre de la « mission Morel », qui visait à dynamiser les carrières des agents de direction : avec Annick Morel, nous avons piloté toute la refonte des concours et de la formation à l’EN3S, de la liste d’aptitude…  Cela a notamment abouti à la création de Cap’Dirigeants. Cela a été une expérience extraordinaire, j’ai adoré travailler en interbranche.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir directrice d’organisme ? 

ABF : En 2013, je sentais que j’avais un peu « fait le tour » à l’Urssaf et je me sentais prête à aborder une fonction de pleine direction. Je m’étais déjà posé la question auparavant, mais la richesse des missions et projets que l’on me proposait à l’Urssaf ou sur des projets transverses m’avait conduite à poursuivre dans ce cadre. 

À ce moment-là, l’envie de changement l’a emporté.  J’ai adoré ces années dans la branche recouvrement, l’autonomie qu’on m’a laissée, les projets que j’ai pu y conduire, la qualité des collègues avec qui j’ai travaillé et qui m’ont beaucoup appris. Mais je me sentais prête à postuler sur un poste de directrice, je sentais que ce que j’avais fait jusque-là m’y avait préparé, et j’en avais l’envie. C’est ça le plus important, il faut envisager des postes de directrice ou directeur quand on est prêt, et quand on en a l’envie, et pas juste parce que cela apparait prestigieux. Et être prêt, c’est avoir bâti un certain nombre d’expériences professionnelles dans son parcours qui permettent de se mesurer à ce poste (directeur d’organisme) qui fait la synthèse des compétences et aptitudes d’un dirigeant de la « Sécu ». 

J’ai alors fait ce qu’on appelait à l’époque « le double saut » : un changement de branche et un premier poste de directrice. Ce n’était pas facile de cumuler les deux mais je crois que c’est aussi une voie qui est de plus en plus suivie et c’est très bien ! Il faut cultiver son aptitude à la transversalité entre les branches. Après, nous restons tout de même dans l’Institution et dans une continuité de métiers. C’est ainsi que j’ai pris la direction de la Caf de Seine-et-Marne (77), où je suis restée quatre ans. 

Pendant ces quatre années, que je n’ai pas vu passer pour être honnête, nous avons avec l’équipe de la caisse conduit un gros travail de transformation interne, sur le pilotage, le management, l’organisation. 

Nous avons également beaucoup œuvré pour transformer le service rendu aux familles, aux partenaires, pour développer les modes d’accueil du jeune enfant et plus globalement les services aux familles dans un territoire vaste et contrasté. Nous avons également beaucoup travaillé sur l’innovation, sur le développement du numérique inclusif, sur des expérimentations, tant territoriales que nationales, par exemple sur la Garantie contre les impayés de pensions alimentaires, qui a été un des prémisses de l’ARIPA et de l’intermédiation des pensions alimentaires. 

« Arrive un moment où la seule question qui vaille est au fond « est-ce que j’en ai envie ? » ».

Vous avez ensuite été détachée au ministère des solidarités et de la santé, que retirez-vous de cette expérience ?  

ABF : J’ai été sollicitée pour rejoindre le ministère fin 2017, au moment où a été décidé par les pouvoirs publics la suppression du Régime social des indépendants (RSI).  Ce qui les intéressait dans mon profil, c’est que je connaissais bien les problématiques liées au RSI, mais également qu’en tant que directrice d’organisme avec une solide expérience en conduite du changement et de pilotage de projets transverses, je pouvais bien appréhender et décliner les implications opérationnelles des décisions plus politiques. Et ces implications étaient nombreuses (transfert des activités du RSI au RG avec des enjeux forts de relation de service et une dimension importante liée aux systèmes d’information, transfert des 5 000 agents du RSI au RG, création d’une nouvelle gouvernance….)

C’est très particulier le moment où l’on reçoit ce genre d’opportunité, car tout est très soudain : on doit donner une réponse très rapide, en deux jours, pour quelque chose d’inattendu et très atypique. La rationalité conduit bien sûr à réfléchir posément aux « pour » et au « contre », à mûrir la réflexion, à demander conseil, etc… ce que j’ai bien évidemment fait, en un temps assez contraint.

Pour autant, et cela peut être vrai sur une mission plus classique aussi, et a fortiori sur une mission plus atypique comme celle-ci, arrive un moment où la seule question qui vaille est au fond « est-ce que j’en ai envie ? ». 

J’ai sollicité de nombreux avis, bien pris en compte la complexité de la mission, puis, c’est l’envie qui l’a emporté. A l’aune d’un certain nombre de critères, j’avais estimé la prise de risque acceptable et le l’enjeu stimulant. Il est aussi vrai que j’aime relever des défis !

« L’Institution est riche de pairs et de leadders inspirants, il faut le cultiver et le développer… »

Qu’avez-vous retiré de cette expérience ?  

ABF : Ce projet complexe a réussi, et cela reste une grande fierté pour moi. C’était une expérience atypique, dense et hyper intéressante. 

J’y ai rencontré des personnes extraordinaires, au ministère, dans les Caisses nationales (et notamment mes collègues qui pilotaient la réforme dans leur branche et avec qui nous avons constitué une belle équipe), dans les caisses locales du Régime général, comme de l’ex RSI, dans notre comité de surveillance, …

Il me semble que la réussite de cette réforme doit beaucoup à tous ces acteurs qui chacun dans leur domaine ont œuvré dans le même sens, avec la même recherche d’efficacité dans la mission et d’attention à l’humain dans sa réalisation.

Avec un hommage particulier à Philippe Renard qui a dirigé la Caisse nationale RSI pour cette transition et aura profondément contribué à la réussite de cette réforme.

Ce n’est d’ailleurs pas tout à fait anodin que je le cite, car outre son rôle au sein de cette réforme, j’ai travaillé avec lui à plusieurs reprises dans ma carrière et c’est à lui que je dois d’avoir appris que l’on pouvait être à la fois exigeant et bienveillant, et c’est aussi lui qui m’a appris à développer une vision stratégique ancrée dans le réel.

C’est peut-être aussi un point que je voulais souligner dans cette interview, l’importance et la chance de rencontrer sur son chemin professionnel des personnes un peu exceptionnelles qui nous font grandir et progresser, des leaders inspirants, mais aussi des pairs sur lesquels on peut s’appuyer. L’Institution est riche de cela, et il faut le cultiver et le développer…

« Si l’envie d’un poste, d’une mission est là, il faut y aller et être soi-même. »

Vous êtes désormais Directrice générale déléguée à la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), en charge de la direction du réseau des Caf, depuis presque quatre ans. En quoi cela consiste-t-il concrètement ? 

ABF : Ce poste, c’est à la fois celui dont j’avais très envie et celui qui constitue une bonne synthèse de ce que j’avais pu faire jusqu’ici. Il s’agit de piloter, d’accompagner et de soutenir le réseau de nos 101 Caf, et de conduire avec elles les transformations nécessaires pour couvrir les besoins, actuels et nouveaux, de nos publics.

Nous venons de négocier notre nouvelle Convention d'objectifs et de gestion (Cog), qui porte une puissante stratégie de transformation de notre modèle de service (avec la solidarité à la source, notamment), la période à venir va être dense et passionnante ! 

Réussir cette transformation profonde constitue donc mon enjeu majeur, en accompagnant nos équipes dans une réelle symétrie des attentions, et bien entendu, en continuant de déployer  des politiques et parcours adaptés pour accompagner nos publics et particulièrement ceux qui en ont le plus besoin, les familles monoparentales (des femmes en majorité), par exemple ; mais aussi tout ce que nous pourrons développer pour faciliter l’accueil du jeune enfant, l’insertion professionnelle, l’inclusion, …. Nous n’avons pas la prétention de tout régler, mais nous ferons notre maximum pour aider à une vie meilleure.

« Ce sont encore trop souvent les femmes qui font un choix de renonciation, au moins partielle, dans leur carrière. »

Vous êtes aujourd’hui interviewée dans le cadre de la démarche #Leadders au féminin portée par l’Ucanss, qui vise à promouvoir l’accession des femmes aux postes de direction. Qu’est-ce que cela vous inspire ? 

Je crois profondément en l’extrême nécessité de l’égalité réelle et je crois que notre réel enjeu est celui-là.

Pour ma part, j’ai toujours considéré que pour une femme comme pour un homme, le parcours professionnel, c’est un peu de talent, un peu de chance et beaucoup de travail. Que seuls les compétences, résultats et potentiel doivent conditionner l’obtention d’un poste.

Personnellement, je n’ai jamais eu le sentiment qu’être une femme avait été un frein dans ma carrière : je n’ai jamais eu l’impression qu’on ne m’écoutait pas. Mais j’ai eu la chance d’être bien entourée familialement avec un conjoint qui a toujours soutenu mes choix, et ça c’est fondamental. J’ai toujours été bien entourée professionnellement avec des patrons qui m’ont donné ma chance et des collègues qui m’ont appris, et un mantra qui m’a toujours guidée : là où tu es, tu es à ta place. Donc si l’envie d’un poste, d’une mission est là, il faut y aller et être soi-même. Et se faire entendre quand c’est nécessaire !

Ce qui ne signifie pas qu’il n’existe aucun frein pour les femmes, j’en une conscience très claire. Il me semble qu’à la Sécurité sociale nous sommes assez préservées de ce qui peut arriver dans d’autres univers professionnels, et des obstacles qui peuvent y être rencontrés que ce soit en termes d’égalité d’’accès aux plus hautes fonctions ou de rémunération ou même de considération.

D’abord, il faut constater que les choses ont progressé sur ce point au cours des 25 années que j’ai pu observer dans l’Institution. Tout n’est pas parfait bien sûr, mais je connais peu de femmes qui ont été empêchées de progresser par les décideurs du fait d’être femmes. J’ai surtout vu en revanche des questions de freins matériels d’une part, et d’auto-censure d’autre part.

En particulier, les questions de conciliation entre vie professionnelle et personnelle ne sont pas encore suffisamment résolues, ce sont encore trop souvent les femmes qui font un choix de renonciation, au moins partielle, dans leur carrière en raison de contraintes parentales ou de déséquilibre dans le partage des tâches. Les questions de mobilité constituent souvent un  frein, et ceci non plus n’est pas résolu. C’est un sujet de société global, plutôt qu’un sujet propre à l’Institution, mais il continue d’exister.

J’ai aussi observé, et au-delà de ces questions qui demeurent très, trop fortes, des situations d’auto-censure, de femmes pourtant talentueuses et compétentes, qui n’osaient pas se lancer de peur de ne pas être « au niveau ». Le complexe de l’imposteur demeure aussi un sujet à traiter… Nous avons une responsabilité à détecter ces talents, à les encourager, à les accompagner, et nous nous y employons de plus en plus.  

« Je conseillerais aux femmes et aux hommes, qui aspirent à des fonctions de direction, de toujours se tenir en mouvement, en éveil, de ne pas rester ancrés dans des convictions figées. »

Quel message trouveriez-vous important de partager avec les femmes qui réfléchissent à leur carrière ? 

Le meilleur conseil que j’ai jamais reçu et qui vaut pour tout le monde c’est : sois toi-même, fais ce que tu aimes et travaille !

Chez les femmes, il y a souvent cette question de la légitimité. Or je pense qu’il ne faut jamais hésiter à être soi-même, à exercer le poste avec son style personnel. Les collaborateurs ont besoin d’authenticité, si on s’oblige à surjouer un rôle, cela se ressent.

Je dirais aussi que la vie est faite de choix, qu’on ne peut pas toujours tout faire en même temps, qu’il est normal qu’à certaines étapes de sa vie on puisse avoir d’autres priorités que de se lancer dans telle ou telle aventure professionnelle. Mais que sur une carrière entière de plus de 40 ans, on peut en faire des choses ! Et que le bon moment pour faire les choses, c’est celui qui nous correspond.  Il faut être bien dans ses baskets pour bien diriger, et donc veiller à être bien entourée, familialement, professionnellement, maintenir son équilibre est primordial.

Je conseillerais enfin aux femmes, comme aux hommes d’ailleurs, qui aspirent à des fonctions de direction, de toujours se tenir en mouvement, en éveil, de ne pas rester ancrés dans des convictions figées. La société évolue très vite à présent, et les besoins sociaux avec. Il faut donc savoir s’adapter et innover, et pas juste avec le dernier truc à la mode, mais en respectant les principes fondamentaux du service public. Cela nécessite de l’attention, du travail et de la rigueur, à mon sens les personnes qui accèdent aux plus hautes fonctions cultivent cet éveil en eux.

 

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