Comment agir pour un numérique responsable ?
La parole à Vincent Courboulay
Enseignant chercheur à l'université de La Rochelle et co-fondateur de l'Institut du Numérique Responsable
Son ouvrage « Vers un numérique responsable – Repensons notre dépendance aux technologies digitales » (Janvier 2021, Actes Sud) réaffirme l’idée qu’il ne faut pas se priver du numérique mais bien d’en repenser notre usage.
Quelle est la genèse de votre engagement sur le numérique responsable ?
J’en suis arrivé là par un besoin d’alignement. Il s’agissait d’aligner mes valeurs d’enseignant- chercheur depuis 15 ans avec mon implication citoyenne dans le développement durable. Cet engagement s’est constitué petit à petit.
Le 20 janvier dernier, j’ai publié un livre grand public qui aborde le numérique de la plus large manière possible : l’impact environnemental, social, économique et politique, le côté citoyen… A travers cet ouvrage, mon objectif est de proposer un rééquilibrage de la balance remède/poison que peut représenter le numérique.
Comment définiriez-vous le numérique responsable ? Quelle différence faites-vous avec la notion de sobriété numérique ?
Si je devais définir le numérique responsable, je dirais que c’est l’outil qui permet de faire converger la transition environnementale et la transition numérique, deux piliers majeurs de notre société. Je fais une distinction entre ces deux notions. Selon moi, la sobriété numérique représente une partie de la solution alors que le numérique responsable est le développement durable appliqué au numérique.
« Le numérique responsable est le développement durable appliqué au numérique. »
Par sobriété numérique, j’entends « faisons plus sobre », « faisons moins de numérique », c’est-à-dire une forme de « numérique castrateur ». Je m’inscris dans une démarche différente, celle du numérique responsable, qui consiste à proposer un « numérique mieux disant ». C’est une démarche d’amélioration continue qui vise à réduire l’empreinte écologique, économique et sociale du numérique. Il représente en cela un cadre d’action plus global, voire un cadre politique L’idée n’est pas de ne plus faire de numérique, mais de faire du numérique différemment !
Ces dernières années, le sujet de l’impact environnemental du numérique commence à prendre place dans le débat public. Où en est-on aujourd’hui ?
Aujourd’hui, nous sommes sur une jachère fleurie. Mais auparavant, il a fallu nettoyer le terrain et labourer pour poser les bases. Le travail le plus ingrat a été fait, maintenant les graines peuvent se déployer. Les jardiniers que sont potentiellement l’Etat et l’Union européenne prennent les choses en main et les initiatives se multiplient.
Plusieurs pionniers ont porté le sujet dès 2005, avec notamment Frédéric Bordage qui travaille depuis 15 ans sur la réduction de l’empreinte écologique du numérique.
Mais, c’est en mars 2018 que le sujet arrive plus franchement dans les ministères, avec la publication, par l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), du Livre Blanc numérique et environnement « Faire de la transition numérique un accélérateur de la transition écologique ».
Cet ouvrage collectif permet de lancer le débat et de nourrir la réflexion des pouvoirs publics. C’est dans ce contexte que Brune Poirson, alors secrétaire d’Etat à la Transition écologique, s’empare du sujet pour le rendre plus opérationnel en 2019. Une autre bascule intervient en 2020, avec le Rapport d’information sénatorial sur l’empreinte environnementale du numérique (juin) et le lancement de la feuille de route sur le numérique et l’environnement (octobre). Enfin, le 12 janvier 2021, le Sénat a adopté à l’unanimité une proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France.
Pourquoi avoir créé l’Institut du numérique responsable (INR) ? Quels sont les outils que vous proposez pour s’approprier ces enjeux et agir concrètement ?
Avant l’Institut du numérique responsable, il y avait le Club GreenIt mais son statut n’était pas très clair. Nous avons décidé de créer l’association INR avec un objectif plus ambitieux : s’adresser à tous les secteurs d’activité et à tous types d’organisations (TPE, PME, ONG, Etat, collectivités…). Nous avons ouvert cette association à la France et depuis quelques semaines à l’Europe avec la création de l’INR Belge et de l’INR Suisse. Nous voulions changer le monde, en toute humilité, avec un statut associatif pour prôner un numérique responsable, et puis surtout pour proposer un outillage et des méthodologies concrètes.
« L’INR forme aux enjeux et bonnes pratiques du Numérique Responsable »
L’INR est aujourd’hui organisé en trois pôles, avec notamment un pôle Académie qui propose un ensemble de projets de formation à destination du plus grand nombre pour former aux enjeux et bonnes pratiques du Numérique Responsable.
Nous proposons un parcours global de montée en compétences à destination des collaborateurs et des organisations. A titre individuel, le MOOC NR, gratuit en ligne, est validé par un certificat de connaissance. Nous tentons également de faire reconnaître par « France compétences » un certificat de compétences pour donner suite à une formation de deux à trois jours. Parallèlement, nous travaillons sur une formation plus complète dont l’objectif est de créer le métier de référent numérique responsable.
De la même façon, au niveau des organisations, nous proposons une montée des compétences avec la charte numérique responsable. Enfin, le Label Numérique responsable, garant de la crédibilité de votre démarche numérique responsable, propose une reconnaissance plus forte.
En termes d’outillage, nous essayons d’apporter des réponses en proposant des kits de communication. Nous allons également bientôt sortir un outil de mesure qui s’appelle le « WeNR » qui pourrait permettre demain à la Sécurité sociale de calculer son bilan environnemental qualitatif et quantitatif. Au sein de l’INR, nous proposons plusieurs façons de vous embarquer dans le numérique responsable. Et une fois que vous avez toutes les clés, vous pouvez tracer votre route, soit de façon individuelle, soit de façon collective.
Quelques chiffres à retenir sur le numérique responsable ?
Sur la partie environnementale, le numérique représente aujourd’hui plus d’émissions de gaz à effet de serre que l’aviation civile, on se situe entre 4 et 5% des émissions de gaz à effet de serre mondial. Un simple ordinateur portable représente en moyenne 150 kg d’émissions de gaz à effet de serre, dont la majorité à la fabrication.
« Le numérique représente entre 4% à 5% des émissions de GES mondial »
Socialement parlant, un tiers des Français sont soit en situation d’illectronisme, soit en situation de handicap visuel. Les services numériques aujourd’hui doivent prendre en compte ces deux handicaps sous peine d’élargir encore plus la fracture numérique.
Quels sont les gestes quotidiens à adopter pour limiter notre impact numérique ?
Ces gestes sont principalement basés sur la notion des 5 R : « Refuser, Réduire, Réutiliser, Réparer, Recycler ». Il s’agit d’abord de refuser d’acheter du neuf, de réduire ses besoins en se demandant si on a vraiment besoin d’une tablette supplémentaire. Le troisième R consiste à réutiliser ce qui peut l’être pour éviter de faire l’acte d’achat du neuf. Ensuite, il faut tenter de réparer. C’est un petit plus compliqué mais il s’agit de faire en sorte d’acheter, le plus possible, des choses réparables. L’indice de réparabilité qui vient d’être mis en place par l’Etat, à partir du 1er janvier, peut nous y aider.
« Limiter les impacts du numérique avec la notion des 5R »
Enfin, le dernier geste consiste à recycler. Par exemple, lorsqu’on se débarrasse d’un objet, je le donne en lui permettant ainsi de vivre une seconde vie. S’il est cassé, je le mets au recyclage au bon endroit. Il faut faire attention à bien se débarrasser, proprement et de façon salutaire, du numérique. Par exemple, en utilisant les services de jedonnemontelephone.fr ou alors en s’adressant à une structure de récupération spécifique aux D3E.
Dans le monde de l’entreprise qui sont les bons élèves sur la question du numérique responsable ?
La Société générale », Pôle Emploi et l’Agglomération de la Rochelle sont de bons élèves. Et puis maintenant, il y a une montée en compétence de tous nos membres. Ce qui est intéressant avec les trois exemples que je viens de citer, c’est que le numérique responsable a percolé sur toutes les strates des organisations, que ce soient les achats, la DSI, la gestion des déchets, les Ressources humaines, la formation.
Un dernier mot pour conclure. Comment voyez-vous le numérique de demain ? Etes-vous optimiste ?
Je suis dans un mélange d’optimisme, de pessimisme et d’attentisme. Je pense qu’il va y avoir une prise de conscience salutaire et une montée en compétence de l’Europe sur ce sujet. Donc plutôt optimiste de ce côté-là. Pessimiste, parce que même si j’espère que les « Gafam », à défaut d’être démantelés, soient contrôlés, j’ai très peu d’espoir. Au milieu de tout cela, il y a le citoyen, qui j’espère aura les moyens de choisir. Et là, je suis plutôt attentiste. Selon moi, ce qui va faire la différence c’est la position de l’Union européenne et son soutien sur ces sujets. « Le citoyen a une responsabilité mais il n’est pas responsable ». Sans le soutien massif à des champions du numérique, à d’autres modèles, cela va être compliqué de revenir sur l’utilisation massive des différents outils de communication et des réseaux sociaux. Je considère que le citoyen a une responsabilité mais qu’il n’est pas responsable. Nous avons tous une responsabilité et lorsque tout le monde assumera sa part, je pense que le monde ne pourra aller que mieux. Il faut avancer avec cette prise de conscience. Et puis essayer d’être le plus motivant et inspirant possible pour embarquer, par exemple, des structures comme la vôtre.